Bonjour tout le monde,
Plus de sept heures trente minutes, pour ce film " univers " , cosmique et rationnel , aux couleurs somptueuses d' un noir et blanc hypnotique avec des infinies nuances grisées qui bonifient le récit, les paysages, les visages , les sons , les tintements de la vie au fil des méandres circulaires de ce long métrage époustouflant, poétique et philosophique...........
Béla Tarr maîtrise complètement le temps cinématographique ainsi que les plans séquences prodigieux dans cet ouvrage visuel mythique, onirique où l' amour humaniste suinte comme la pluie sur la grande plaine hongroise............
Il faut nous laver mentalement de tous les films " speed" et montés, tel les publicités, par des " cut' de deux ou trois secondes tout au plus , et vous aurez le plaisir de regarder et voir la vie cinématographique selon Béla Tarr................
Les longs travellings, surréalistes ou hyperréalistes, questionnent notre imaginaire et notre psyché malmenée par trop d' images prête à consommer comme une soupe au lard mal cuite!
Les images tarriennes, irréductibles, sublimes, authentiquement humanistes, irradient pour longtemps notre vécu face à ce film " fleuve" profond et inquiet quant à la vraie question humaine cosmique et inique, trouble et lumineuse, inquiétante et étonnante............
Le rythme des plans séquences fait penser à ceux du russe Andreï Tarkovski mais Béla Tarr est un fervent athée mais Andreï Tarkovski un fervent croyant ..............
Béla Tarr souhaite que le spectateur fasse un effort face à ses films car ce cinéaste parie sur la curiosité et l' intelligence nuancée, émotionnelle et cartésienne du genre humain...........
Voici un extrait :
"Irimiás : Dieu ne se manifeste pas dans le langage, idiot. Il ne se manifeste dans rien. Il n'existe pas... Dieu était une erreur. J'ai compris depuis longtemps qu'il n'y avait aucune différence entre moi et un insecte, ou un insecte et une rivière, ou une rivière et une voix qui crie au-dessus. Rien n'a de sens. Ce n'est rien d'autre qu'un réseau de dépendances soumises à d'énormes pressions fluctuantes. Ce n'est que notre imagination, pas nos sens, qui nous confronte continuellement à l'échec et à la fausse croyance que nous pouvons nous relever par nos propres moyens de la misérable bouillie du retard. On ne peut pas y échapper, idiot.".
( Extrait du scénario de László Krasznahorkai, Satantango).
Puis :
" Il contempla tristement le ciel menaçant, les vestiges brûlés d'un été infesté de sauterelles, et vit soudain sur la branche d'un acacia, comme dans une vision, la progression du printemps, de l'été, de l'automne et de l'hiver, comme si le temps tout entier n'était qu'un intermède frivole dans les espaces beaucoup plus vastes de l'éternité, un brillant tour de passe-passe pour produire quelque chose d'apparemment ordonné à partir du chaos, pour établir un point de vue d'où le hasard pourrait commencer à ressembler à une nécessité... et il se vit cloué sur la croix de son berceau et de son cercueil, essayant péniblement d’arracher son corps, pour finalement se livrer – complètement nu, sans marque d’identification, dépouillé de l’essentiel – aux soins de ceux qui avaient pour tâche de laver les cadavres, des gens obéissant à un ordre lancé dans l’air sec, sur un fond sonore de tortionnaires et d’écorcheurs de peau, où il était obligé de considérer la condition humaine sans une trace de pitié, sans la moindre possibilité de retour à la vie, car il saurait alors avec certitude que toute sa vie il avait joué avec des tricheurs qui avaient truqué les cartes et qui, à la fin, le dépouilleraient même de son dernier moyen de défense, de cet espoir de retrouver un jour le chemin de la maison" .
( Extrait du scénario de László Krasznahorkai, Satantango).
Il y a une telle osmose entre le romancier László Krasznahorkai et le cinéaste Béla Tarr que l' on pourrait penser que ces deux hommes sont des " jumeaux " mentaux évidemment .............
Lisons Béla Tarr :
" Il faut avoir de l'empathie, essayer de comprendre les gens. Pourquoi est-ce qu'ils agissent comme ils le font, qu'est-ce qui se passe entre nous. Je suis plus tolérant à présent, j'ai davantage d'empathie pour les gens. Je n'ai jamais jugé personne, et maintenant encore moins". ( Citation de Béla Tarr novembre 2018 ).
Voici un extrait d' un article de Damien Marguet ( qui présente et commente Satantango aux éditions Carlotta ):
" Sept heures et demie , c’est approximativement le temps qu’il faut pour lire d’une traite le roman de László Krasznahorkai, Tango de Satan, publié en Hongrie en 1985. C’est aussi la durée – sept heures et quarante minutes exactement – de Sátántangó (1994), durée qui n’est pas étrangère à son statut de film « culte ». On parle à propos de ses projections d’« expériences », voire d’« épreuves » devant la lenteur et la longueur de chaque plan. Éprouver le temps d’une manière différente, c’était déjà le projet de Damnation (1987), première collaboration de Tarr et Krasznahorkai, coauteurs du scénario. Et c’est bien à l’invention d’un temps différent, à la fois distinct et différant, distinct car différant – qui « s’écoule sans passer » pour citer l’exergue à La Mélancolie de la résistance, le deuxième roman de Krasznahorkai –, qu’est consacré Sátántangó. Cette expérience de cinéma est donc indissociable d’une expérience de lecture qu’elle répète et prolonge à la fois. Le cinéaste en rend compte explicitement dans son film, une voix over masculine venant clore chacun de ses « chapitres » par la lecture du passage correspondant du roman. Mais Sátántangó n’hérite pas seulement du titre et de la durée d’un livre – si tant est qu’un livre puisse avoir une durée –, il en reprend les personnages, les espaces et les atmosphères, la dramaturgie, la structure concentrique et circulaire, jusqu’à ses plus fines articulations syntaxiques. Le terme d’adaptation, qui suppose une conformation du matériau littéraire aux contraintes du médium cinématographique, semble impropre à rendre compte de la relation construite ici entre roman et film…".
( Fragments de l' article de Damien Marguet qui est :
Maître de conférences au département cinéma de l’université Paris 8, dont il est également le co-directeur. Il est membre du laboratoire ESTCA, cinéaste et programmateur).
Depuis " Le cheval de Turin" , Béla Tarr a décidé de ne plus créer de film et de se consacrer à son école de cinématographie ..............'''
Pour ma part, j' aimerais bien que Béla Tarr enfante d' un nouveau long métrage. Partagez - vous mon point de vue?
A vous.
Gérard Michel