Comme son nom l'indique, Satoshi Kon l'illusionniste est une documentaire consacré à Satoshi Kon, artiste mémorable dont la brève carrière aura marqué au fer rouge l'animation japonaise. Le documentariste à la manœuvre est un Français, Pascal-Alex Vincent, qui a été volontairement débauché par les ayant-droits de Kon du fait de notre vision de la politique des auteurs. L'objectif désigné était de rendre hommage au défunt réalisateur et d'éviter qu'il ne s'estompe des mémoires, tout en se voulant une porte d'entrée dans son univers si particulier qui aura pourtant totalement diffusé dans la culture cinématographique, comme de nombreuses mises en parallèle le rappelleront.
Sur la forme, le documentaire suit ainsi une trame conventionnelle d'interviews de pointures, de producteurs et de techniciens de l'animation japonaise ainsi que de réalisateurs occidentaux qui paient leur tribut au maitre, entrecoupées de mises en lumières de ses œuvres (essentiellement ses 4 films et sa série). Le tout est bien réalisé et bien photographié, avec une réelle envie de faire du cinéma pour grand écran. Si certains intervenants font mouche (Junko Iwao, la doubleuse de Mina dans Perfect Blue, qui raconte, visiblement émue, avoir elle-même été idole et victime d'agression ; l'animatrice Aya Suzuki qui parle franchement des aspérités des films de Kon), l’écueil de l'hagiographie n'est jamais très loin.
Pourtant, le spectateur attentif détectera quelques notes dissonantes dans ce concert de louanges : des gens qui semblent avoir souffert au contact du réalisateur ; des qualificatifs critiques, voire injurieux, certes prononcés sur le ton de la blague ; des habitudes étonnantes de travestissement "pour faire rire" de Kon. Et c'est le long échange avec le réalisateur Pascal-Alex Vincent, permis par cette diffusion cinéma (merci Back to the Bobines), qui vient véritablement apporter un indispensable éclairage sur l'aspect plus complexe de la personnalité de Kon. Il faut déjà rappeler le contrôle important mené par les producteurs, et plus encore par la veuve du réalisateur, décrite comme une gardienne du temple mystico-tyrannique, sur les éléments à retenir, pour comprendre qu'il n'a pas été possible d'être complet dans ce documentaire qui prend donc le parti de se recentrer sur l’œuvre plutôt que sur l'artiste.
Artiste qui se dessine pourtant comme un caractère difficile, très conscient de son talent, si ce n'est de son génie, et ne se gênant apparemment pas pour le rappeler à ses collaborateurs de qui il exigeait un investissement professionnel aussi absolu que le sien, sachant qu'il n'avait quasi pas de vie privée. Par ailleurs, l'alcoolisme dont il souffrait de très longue date n'avait sans doute pas toujours facilité ses relations. De fait, P-A Vincent explique avoir été confronté à des interviewés qui se sont montrés extrêmement critiques voire virulents à l'encontre de Kon (Otomo ayant par exemple refusé de participer au documentaire, ne souhaitant plus voir son nom associé à lui), ce qui a pas mal compliqué sa tâche. Autre élément important, décrypté à travers les lignes de ce qui peut être dit sans fâcher personne, et qui a très certainement dû troubler ses contemporains, Satoshi Kon souffrait probablement de tourments identitaires, entre autres sur son genre, ce qui rend compte du caractère éminemment personnel que prennent certaines de ses thématiques phares (l'animatrice Aya Suzuki rapporte d'ailleurs des propos équivoques du réalisateur, assumant se représenter dans ses personnages, même féminins).
Satoshi Kon l'Illusionniste a donc un titre à bien considérer et ne prend tout son sens que dans ces éléments de contextualisation complémentaires. Dommage qu'ils apparaissent si péjoratifs aux ayant-droits qu'il faille les taire, alors même qu'ils sont un ressort évident de son humanité et une clé de compréhension de son œuvre.