Voilà le genre de films que j'espère toujours découvrir quand je vais au cinéma. Dommage que ça arrive aussi rarement! Un petit bijou à tous les niveaux: un ton original, un propos profond et intelligent, un angle frappant, un rendu divertissant et intellectuellement stimulant à la fois!


On pourrait croire à un film qui ne joue que sur sa vulgarité et ses sous-entendus sexuels. Ces éléments sont en effet présents tout au long de l'oeuvre, mais ils n'en constituent que le ton, pas le sujet. Il y a une histoire très porteuse de sens, et elle n'est pas un prétexte pour nous servir des blagues grasses pendant une heure et demie.


Sausage Party, ce sont des aliments bien rangés dans un super-marché, qui pensent tous que leur vie a un sens, et surtout un but ultime, celui d'en franchir la porte, afin d'atteindre un "Au-delà" paradisiaque. Mais cet au-delà n'est qu'un leurre, puisqu'à la sortie du super-marché, tous les aliments seront de fait dévorés ou jetés, i.e réduits au néant. Ce qui est génial, c'est que chaque aliment a une identité qui lui est propre (nationale, sociale, sexuelle...), et qui le définit en le différenciant des autres, ce qui crée régulièrement des situations de conflits (israéliens/palestiniens, religieux/athées, hétéros/homos...). Chacun pense que son sens est le vrai sens. Chacun a son propre objectif, et les objectifs des uns s'opposent à ceux des autres. Alors, nous aurons un "douche" (sorte de lavement vaginal) qui voudra tuer les autres personnages par soif de vengeance, sans réaliser qu'il est lui-même victime d'une condition bien plus grave, qu'il partage avec ses ennemis. Ces oppositions servent une bonne dramaturgie, aussi bien qu'une réflexion très ancrée dans la réalité de notre monde.


Et si nous étions tous en train de nous battre, à l'échelle de notre petit quotidien, de notre politique nationale ou de nos croyances religieuses, sur la possession de la raison, du bon sens, sans réaliser qu'au-dessus de nous tous petits ingénus, règne l'absence de sens la plus totale et anéantissante? Ce film m'a fait penser au livre "O vous frères humains" d'Albert Cohen, qui se demande comment il est possible de haïr une personne pour sa religion sachant que nous sommes tous frères, dans le sens où nous sommes tous victimes de notre mort prochaine et commune. Il m'a fait penser à Woody Allen aussi, et à son regard comique sur la condition tragique de l'homme sur terre. Il m'a fait penser à Pascal et à son pari, lorsque Brenda demande à Frank s'il ne préfère pas être heureux en se disant que derrière tout ça il y a effectivement un au-delà heureux, plutôt que d'aller chercher les preuves de sa condition misérable. Lorsque Barry l'atrophié erre dans les rues d'une ville dans laquelle il n'a aucun objectif, il se demande pourquoi vivre; pourquoi vivre dans la mesure où l'on sait désormais avec certitude que le sens n'existe pas? C'est ici Camus porté au bout de ses certitudes.


Le constat est donc névrosé, tragique, percutant, voire bouleversant. De nombreux films traitent le même sujet et, pour se sentir à la hauteur de sa gravité, baignent dans une ambiance morose et nous offrent un mot toutes les vingt minutes d'une cigarette fumée devant une fenêtre noire. Sausage Party nous prouve qu'il est possible de mener une réflexion profonde et intelligente sans avoir à assommer, mais plutôt en passant par le rire et même par un ton grivois.


Et je ne révèle rien sur la dernière scène, qui porte la réflexion à une énième dimension géniale! Descartes nous voilà...

phantesie
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le 1 déc. 2016

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phantesie

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