J'avais adoré Mustang: les actrices, la réalisation, la musique, le sujet bien sûr... Seulement, j'en suis sortie avec le sentiment d'avoir assisté, malgré tout, à un récit anecdotique. Je suis touchée par le destin de ces enfants, forcées au mariage, mais aussitôt que le mariage forcé sera banni de Turquie, le film deviendra caduc. Il ne tient qu'à des faits et ne transcende pas son sujet pour nous parler de quelque chose qui nous concerne tous, les humains.
Ca, je n'en ai eu entièrement conscience qu'aujourd'hui, après avoir vu La saison des femmes. J'adore ce genre de films, qui parviennent à vous illuminer de rires et de sourires authentiques, perçant comme des éclaircies au milieu d'un tableau tragique. Après avoir bien dévalé toute la gamme d'émotions que j'étais capable de ressentir, je suis sortie de la salle, la boule au ventre. Mon sentiment ne se limitait pas à une pitié condescendante pour ces pauvres Indiennes maltraitées par leurs machos de maris. Je me sentais concernée. C'est l'immense qualité de ce film! Il ne parle pas uniquement d'une société - même si les problématiques qu'il évoque sont exacerbées dans cette société - il parle d'une situation humaine: la femme opprimée par l'homme, et la femme comme voie de liberté pour la femme.
Qu'elles étaient touchantes, toutes ces scènes où les trois amies se retrouvaient, dans l'intimité d'une tente ou d'une cabane, pour se guérir de leurs plaies, physiques ou morales, par le rire et la tendresse. Même en tant que spectateur, on est soudain consolé d'avoir vécu les scènes de sombre oppression où les hommes sont rois. Je ne pouvais pas m'empêcher de remarquer combien, même en Europe, je trouve les femmes plus libres avec leurs amies qu'avec leurs hommes, même quand ceux-ci ne les frappent ou insultent pas. Chez nous, l'oppression est plus subtile et moins rudimentaire. Paradoxalement, elle vient peut-être même de la pression romantique. Mon homme doit voir en moi un certain nombre de qualités, il doit continuer de m'aimer, je dois être à sa hauteur, il ne doit pas me tromper... Tout un tas de pressions qui n'existent pas en amitié. Alors, pour mon homme, je deviens autre; je deviens sienne.
Et tout le film prend sens. Dans La saison des femmes, mesdames appartiennent aux gros machos parce qu'ils ont payé une sacrée dot pour elles. Elles ne travaillent pas et n'ont pas la moindre indépendance, économique ou sociale. Les hommes les possèdent, tout simplement. La problématique de possession économique de la femme par l'homme est loin d'être éliminée de nos sociétés, mais je veux parler de quelque chose qui va au-delà de ça. Je veux parler du diktat romantique par lequel la femme s'offre à la possession de l'homme. On me répondra que l'inverse est aussi vrai. Je répondrai que nos sociétés sont peut-être en train d'évoluer dans ce sens-là (et ce n'est pas ce qui peut nous arriver de mieux), mais on en est encore loin. Les hommes n'ont pas la même pression que les femmes sur leur physique, leur poids, leur désir de procréer...
Ce film est une claque, car il nous oblige à faire face à une réalité, dont on espère qu'elle soit sociale - donc en mouvance - mais qui pourrait aussi bien être biologique: la femme ne se libère qu'à travers la femme.