Léo est là, ici, il marche, il court, il danse, il baise, il embrasse. Léo se vend, il vend son corps, sa bouche, sa bite et son cul. Un corps que l’on étreint, que l’on prend, que l’on ausculte, que l’on maltraite aussi. Léo est une énigme dont on ne saura rien, opaque et résistante. Léo, c’est d’abord une présence physique, des tatouages, des hématomes, une gueule, un regard brillant, frénétique, et une énergie qui fonctionne à l’instinct, dépouillée de psychologie. Léo se situe en-dehors d’un système, au-delà des règles, n’acceptant aucune limite (même dans ses rapports avec certains clients) sinon celle d’une marginalité (d’une liberté ?) sans condition.


Marginalité acceptée, jamais forcée, envers et contre tous, mais d’une dureté extrême, comme un prix à payer en retour. Et s’il y a un détail sur lequel Léo ne transige finalement pas, c’est celui des sentiments, de l’amour en entier. En ça, Léo rejoint Henri, le jeune héros imaginé par Patrice Chéreau et Hervé Guibert dans L’homme blessé, dans cette quête de celui que l’on voudrait aimer plus fort que tout (Jean dans L’homme blessé, Ahd dans Sauvage), plus fort que les entraves de la prostitution, du sexe tarifé et ordonné, du va-et-vient des inconnus, de l’épreuve des gares ou du bois, de la violence ou du plug. Désarmé et désarmant, Léo avance sur le fil, s’éprend malgré les obstacles (la rue, la maladie et la drogue, le rejet et les humiliations).


Léo au cœur trop pur, Léo tapin céleste qui ne semble vivre que pour prendre dans ses bras, se lover contre l’autre (ou sur un trottoir), contempler les rayons du soleil dans les arbres et s’aveugler des stroboscopes des boîtes de nuit. Et qu’on ne pourrait apprivoiser, tenter de normaliser, de bien habiller ou de bien coiffer. Insaisissable. Le scénario de Sauvage se construit de peu tout en disant (en montrant) beaucoup, successions de passes et de clients divers avec, en seuls points de repère, les errances et les passions de Léo (Félix Maritaud, possédé). Camille Vidal-Naquet est allé, pendant trois ans, à la rencontre des garçons du bois de Boulogne pour nourrir son scénario d’une réalité, d’une vérité sans fard sur la prostitution masculine, tout en écartant l’idée de le rapprocher d’un documentaire, d’une étude sociologique.


Dépassant ce didactisme et la crudité de nombreuses situations, Sauvage se déploie au contraire en fulgurances et en douceur (on pense au très beau Wild side de Sébastien Lifshitz qui alliait lui aussi prostitution et amour brut cristallisés autour d’un personnage flamboyant). Si la fin insiste un peu trop sur la déchéance et le caractère sacrificiel de Léo (avant un épilogue plus apaisé et une dernière image magnifique), si la mise en scène de Vidal-Naquet s’adonne parfois à quelques tics inutiles (ces zooms agressifs et un rien maladroits), Sauvage laisse derrière lui la marque non pas d’un grand film, mais d’une œuvre qu’on aime avec ses défauts, pour sa rudesse comme pour ses caresses.


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mymp
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le 29 août 2018

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