Après s’être expérimenté dans la réalisation avec ses 2 courts métrages, Backstage en 2001 et Mauvaise tête en 2013, Camille Vidal-Naquet, enseignant en analyse filmique, se lance dans la mise en scène de son premier long-métrage, Sauvage. Et, si je puis dire, quelle entrée en matière dans la cour des grands !
Léo, un jeune homme de 22 ans vivant dans un squat, se prostitue afin de gagner de l’argent. Les rencontres défilent. Les partenaires sont différents. Chaque jour est un jour nouveau. Addict au crack et à l’amour, il ne fait que regarder devant lui.
C’est à travers cette histoire que Camille Vidal-Naquet va aborder le monde de la prostitution masculine et ce, en moyenne, sans tabou.
Si, en premier lieu, on peut penser à Le Bois dont les rêves sont faits de Claire Simon, dans l’idée de la représentation, nous sommes plus proche de Cruising de William Friedkin et cette volonté de montrer les choses telles qu’elles sont. Si, certes, le sujet n’est pas exactement le même (d’un côté la prostitution masculine, de l’autre les boîtes hardcore gays SM de New York), il cherche à nous parler de l’homosexualité, de cette frontière sur l’ambigüité sexuelle et de montrer la réalité telle qu’elle est.
Dans cette idée de rapprocher le film à Cruising, Camille Vidal-Naquet semble également s’inspirer de la mise en scène de William Friedkin, et ce principalement par l’utilisation de la caméra épaule et du zoom (petite marque de fabrique de Friedkin, venant du monde du documentaire. On retrouve ces mêmes éléments dans French Connection ou Sorcerer de celui-ci). On se retrouve alors face à des séquences où nous ne sommes plus forcément capables de distinguer la réalité de la fiction, où la frontière est réduite à son maximum. C’est là que le film continue dans sa volonté : la réalité et montrer cette réalité.
Pour finir la comparaison avec Cruising, il faut noter la possibilité de pouvoir montrer les choses. En 1980 sous les Etats-Unis de Ronald Reagan après la fin du Nouvel Hollywood, Friedkin n’avait pas forcément la possibilité de montrer entièrement les choses (cf Cruising classé X à sa sortie et très censuré également). Ici Camille Vidal-Naquet peut montrer les choses et en a profité justement : un film quasi sans tabou sans pour autant partir dans l’imagerie gratuite.
Et de cette idée de film sans tabou vient l’idée de la représentation du corps. Si celui-ci peut jouir de différentes situations, il peut également en souffrir. Dans le prolongement de cette pensée, le personnage de Léo est masochiste. Si son esprit ne cherche que liberté et amour, son corps ne suit pas forcément par rapport aux différentes souffrances qu’il s’endure lui-même et que les autres lui font endurer, directement ou indirectement. De ce fait, Léo est totalement soumis par son intériorité, lui faisant subir les pires choses. En exemple, la séquence chez les 2 homosexuels au style gothique. Humilié, rabaissé par ceux-ci, traitant Léo de toutes les sortes, le soumettant, il continue de rester. Vient alors la séquence du plug anal permettant de continuer cette idée du corps meurtri (par la maladie, la drogue, l’alcool…), transformant une séquence de passe en séquence de « torture ». Son corps se soumet à l’amour qu’il essaye de partager. L’impact même de la réalité est dirigé sur le corps de Léo, arrivant même à certains moments à atteindre son esprit (cf Séquence où il décide de monter dans la voiture du pianiste après la nouvelle qu’il ait apprise)
Après avoir parlé du corps, parlons maintenant de l’esprit de Léo. Comme dit ci-dessus, même si le corps de Léo reste soumis également à sa condition de sans-abri/squatteur, son esprit reste amoureux et libre. Cela se traduit par rapport de nouveau à sa condition et son état d’esprit, mais est également transcendé à travers la mise en scène. Pour mettre en valeur cette idée, nous allons la comparer à une séquence particulière d’un autre film : le plan séquence des Affranchis de Martin Scorsese. Entre parenthèses, les 2 films se placent entièrement du point de vue du personnage principal, on le suit en permanence.
Dans Les Affranchis, on suit Ray Liotta avec Lorraine Bracco traverser le Copacabana. Le plan utilise une steadycam avec l’utilisation d’une courte focale en plan large. Grâce à ces outils, on observe l’évolution de Ray Liotta dans le milieu de la mafia, l’aisance ainsi que le grade qu’il a pu gagner (du fait que tout soit net à l’écran). Ceci est d’autant plus renforcé avec la grandeur du cadre grâce à la courte focale et la fluidité de la steadycam. Le fait de le suivre avec ce qui a été cité au-dessus montre que son avenir est devant lui, que tout est déjà tracé et visibile. Ray Liotta, son corps et son esprit, ne fait qu’un avec l’univers dans lequel il vit.
Dans Sauvage, nous sommes dans l’exact opposé. Dans les séquences où nous suivons de près Léo arpenter les rues, la caméra épaule ainsi que la longue focale sont utilisés. De ce fait, seul le dos de Léo est net, le reste est flou, et le plan est très mouvementé. Les séquences sont cutés (exemple dans l'aéroport avec les jumpcuts). Il vit en décalage par rapport au monde dans lequel il évolue, son avenir n’est pas tracé, il avance tête baissée vers l’inconnu. Nous suivons un homme qui va dans le flou. Son esprit libre ne peut lui dicter de véritable chemin à suivre, il se laisse aller là où ses jambes l’emmènent.
D’un point de vue technique, le film est très maîtrisé. La lumière est très belle, surtout pendant les scènes de nuit. Les cadres sont inspirés. Malgré certaines séquences compliquées au niveau du point, les plans fonctionnent parfaitement. Au niveau sonore, le travail est très intéressant par rapport à l’intériorité du personnage de Léo.
Seul bémol, et ceci est purement objectif : l’absence de la séquence chez le pianiste qui aurait pu amener l’idée du corps meurtri à son paroxysme. A cette recherche d’impact de la réalité, de la souffrance et de la violence sur le corps (ce qui aurait également pu rappeler Salo ou les 120 Journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini avec le rapport avec le corps). Cela aurait aussi fait sens par rapport à la séquence du plug anal et à l’entièreté du film-même.
Avec cette œuvre maîtrisée et chargée de sens, nous ne pouvons être que plus en attente du prochain film du réalisateur.