Dans l’ouverture du film, un jeune homme dont l’état de santé ne parait pas optimal consulte au sein d’un cabinet. Les questions de routine s’enchainent, et l’on pourrait voir se dessiner les directions habituelles du drame à la française (la maladie, la dimension socio-pathétique, voire un éloge des institutions de la protection sociale) si l’on ne sentait, insidieusement, monter une ambivalence dans les rôles du patient et du médecin. Le cadre, la mise en avant des visages, l’intensité des regards établissent un sous-discours qui au lieu de fasciner, fait surtout surgir un profond malaise.
La suite des événements le confirme. Non seulement, l’auscultation vire au rapport sexuel, mais on apprend très vite qu’il s’agissait d’un jeu de rôle dans le cadre d’une relation tarifée. Le cadre est désormais posé : le protagoniste, dont on ne dira de mémoire jamais le nom, fait ce qu’on lui demande, sans poser de questions, et survit dans une ville indéterminée, qui les résume et les nie toutes.
Sauvage suit la trajectoire d’un homme à la marge, dans un monde qui ne montre que très rarement ce que pourrait être le centre. Le film est cru, explicite, dérangeant en ce qu’il prend soin de ne jamais basculer dans un discours trop exploitable : ce n’est ni une dénonciation misérabiliste (même si certaines passes sont abominables, et qu’on ne fait pas l’économie de la drogue ou de nuits passées à même le trottoir), ni un éloge romantique d’une liberté absolue.
Le jeune homme est aussi abordable qu’opaque, et traverse une faune qui décline les différentes dérives (la drogue, la violence, la criminalité) et les quelques fragments d’une société qui pourraient le remettre d’aplomb : une nouvelle visite, réelle cette fois, chez un médecin, ou la perspective d’un homme établi chez qui il jouerait l’escort à temps plein. C’est cette posture d’indécision qui fait toute la dynamique singulière du protagoniste, qui semble occuper, in fine, la même posture que la caméra : il est le témoin d’un monde qui l’abime, l’écorche, le transit de froid ou le réconforte brièvement, sans qu’il ne puisse jamais réellement s’y poser. L’illusion d’un amour pourra certes, un temps, lui donner une quête, mais elle se résumera à l’ironie tragique des coups reçus en retour.
Camille Vidal-Naquet met son récit au diapason de cet errance à cœur perdu : de peu de mot, la trajectoire affecte probablement plus le spectateur que ce personnage qui encaisse parce que telle semble être la vie, et se méfie des opportunités qui lui sont offertes de se poser. Les intérieurs sont anxiogènes, et les seuls moments de concorde sont ceux d’une vie au grand air, qu’il s’agisse de regarder décoller avions ou errer dans les allée bétonnées d’un parc où rodent les clients assoiffés de chair.
Le personnage restera, en un sens, inaccessible : de tous les individus de passage qui auront croisé sa trajectoire, le spectateur sera sans doute celui qui l’aura le plus fréquenté, pour un constat singulier : l’empathie se fait aussi face au mystère d’un être humain qui se cogne contre le monde.
(6.5/10)