De temps à autres, il est des films comme ça qu’il est difficile de jauger. Voir même, compliqué de savoir si on les apprécie ou non. ‘’Minyeo-neun Goerowo‘’ est de cette catégorie. Œuvre frénétique, ultra-violente et complètement perchée, il est même difficile de la classer dans un genre en particulier. Drame, comédie loufoque, polar crépusculaire, torture porn, c’est un peu dans tout ça qu’elle se ballade, sans vraiment en emprunter les circuits habituels.
L’histoire est pourtant assez simple, Byung-gu est un marginal persuadé d’une invasion extra-terrestre imminente. Dans le cadre de la mission qu’il s’est donné, il kidnappe les dirigeants d’une société spécialisée dans les produits chimiques. Il les rend responsables d’avoir plongés sa mère dans le coma, suite à la répression musclée d’une grève au sein d’une de leurs usines.
Depuis le jeune homme mène des expériences pour démontrer la présence d’Aliens parmi nous. Assisté par Su-ni, sa petite amie funambule, retirés dans les montagnes, ils torturent en toute complaisance Kang Man-shik, PDG de la multinationale criminelle aux yeux de Byung-gu, et potentiel extra-terrestre infiltré.
Tout le film tourne dès lors autour des tortures plus cruelles et douloureuses les unes que les autres. L’homme d’affaire est mutilé et humilié, vivant un calvaire absolu, filmé sans aucune concession par Jang Joon-hwan. Cat s’il est bien une chose que l’on ne peut pas reprocher à son film, c’est son jusqu’au-boutisme. ça va loin, très loin, au point qu’il est parfois difficile à suivre.
L’image est sale, la production design des plus crasseuses, donnant à l’ensemble un rendu des plus crades et peu agréable, où la torture est abordée frontalement. Toujours malsain, il est difficile de savoir ce que le métrage essaye de nous communiquer. Si un message écolo assez virulent prend forme, il demeure néanmoins en sous texte. Certes le titre, évoquant une planète ‘’verte’’, met sur la voie, mais globalement ça reste inaccessible.
C’est seulement dans sa dernière partie, qui part en délire total, prenant même le luxe d’un clin d’œil appuyé et hilarant à ‘’2001 : A Space Odyssey’’, sur un ton parodique, évoquant sans détour la capacité d’autodestruction qui réside dans la nature humaine. Exprimée par les guerres en tout genres, aux prétextes variés qui ne sont là que pour justifier de se foutre sur la tronche entre voisins.
Le message de ‘’Minyeo-neun Goerowo‘’ peut même être perçu comme antihumaniste, tellement la description et l’exploration de la psyché humaine y sont des plus négatives. Totalement désespéré et désespérant, durant près de 2h c’est quasi-irrespirable. L’ambiance générale étant particulièrement étouffante, et d’une sombriété mortifère.
Le film de Jang Joon-hwan manque de moments rafraîchissants, préférant opter pour l’accumulation de séquences aussi glauques les unes que les autres, pour parfois atteindre des sommets dans l’horreur la plus malsaine. C’est en soit une œuvre qui met mal à l’aise, alors que l’affiche comme le pitch laissaient deviner une comédie loufoque. Si loufoque ça l’est, en revanche l’aspect comédie y est plus complexe à déceler.
Cependant, l’ensemble se présente comme une grosse farce (malsaine) avec pour sujet la décadence humaine, et de sa prochaine disparition. Une planète Terre sans Humains serait plus vivable pour la faune et la flore inlassablement détruites par l’activité des hommes. Mais la réflexion de Jang Joon-hwan va au-delà, là où je ne m’aventurerais pas. Pour de ne pas spoiler, mais également pour laisser à chacun le choix de l’interprétation.
Il serait possible de reprendre le métrage point par point pour en faire un compte rendu détaillé, pour essayer d’expliquer et de comprendre les différents aspects d’un scénario riche en symbolique. Mais ‘’Minyeo-neun Goerowo‘’ étant une œuvre ouverte, il y aura autant d’interprétation qu’il y aura de spectateurices. Puisque sous sa simplicité feinte, se cache une grande richesse qui saura toucher la sensibilité de chacun, par telle ou telle situation.
Comme un trip de 2h, loin d’être inintéressant, la violence déployée se retrouve dans un ton agressif et presque vulgaire, qui dès le générique de début, des plus criards, annonce la couleur. C’est en fait une ballade au plus profond de l’esprit malade de Byung-gu qui nous est proposé. Comme un sociologue de la folie, Joon-hwan nous invite à plonger dans l’esprit déviant d’un type déconnecté de toute réalité.
Le cinéaste utilise ainsi l’immersion, puisque l’ensemble du métrage est perçu par le prisme de la vision de Byung-gu, du début à la fin c’est son point de vue qui sert de vecteur aux images, et aux différentes situations. Lorsqu’il n’est pas présent dans une scène, le style change, et le film est plus posé. C’est le cas pour les différentes séquences concernant l’enquête policière parallèle, menée par un flic edgy, l’inspecteur Choo.
Dès que Byung-gu est présent à l’écran, l’ambiance glauquissime reprend ses droits. Le jeune homme est devenu fou par ses expériences de vie, inlassablement broyé par une société complètement malade. C’est d’ailleurs ce qui explique une ultime séquence qui part totalement en cacahuète, et qui ne tiens la route que si l’on prend en compte le point de vue biaisé du personnage central. Ce qui permet d’offrir une seconde lecture un peu plus malicieuse.
‘’Minyeo-neun Goerowo‘’ est une œuvre qui peut fasciner, tout autant qu’elle peut rebuter. Mais il est certain qu’elle ne laisse pas indifférent. Par son originalité et une utilisation complaisante d’une violence des plus rêches, elle peut apparaître à plus d’une reprise gratuite. Toutefois pour un premier film c’est impressionnant et maîtrisé de bout en bout. Même si sa radicalité en fait une expérience difficile à apprécier pleinement, elle annonce néanmoins l’émergence d’un réalisateur d’envergure.
-Stork.