En 1980, le jeune Cubain Tony Montana (Al Pacino) débarque aux Etats-Unis en tant que réfugié politique, bien décidé à profiter à fond du « rêve américain » et de devenir riche. C’est en se lançant dans le trafic de drogue qu’il parvient à concrétiser son rêve, et à bâtir un empire financier incroyable. Mais tout empire bâti dans l’illégalité a un prix que, tôt ou tard, il faut payer…
On ne va pas se mentir : lorsqu’on regarde un film de gangsters, quel qu’il soit, on a toujours un peu l’impression de voir le même film, ou tout au moins, de voir un épisode d’une vaste saga. Seulement, entre un Francis Ford Coppola et un Martin Scorsese, il y a un monde. Le cinéma de l’un (incontournable Parrain, bien évidemment) est rempli de noblesse, de sentiments puissants, de personnages forts et attachants, tandis que celui de l’autre (les très contournables Affranchis ou Loup de Wall Street) n’est que bassesse, lâcheté, personnages détestables sans aucune morale…
C’est à mi-chemin entre les deux qu’il faudrait ranger le Scarface de De Palma. En transposant le scénario du film original d’Howard Hawks dans les années 1980, Brian De Palma et son scénariste Oliver Stone nous offrent un film de gangsters dans la grande tradition du genre, suivant l’habituel personnage qui ne part de rien pour bâtir un immense empire à la seule force de sa détermination. Mais Tony Montana tient plus de Vito Corleone que de l’anti-héros scorsesien (à la différence notable que Montana se construit grâce au trafic de drogue, que Corleone rejette catégoriquement) : car en effet – et c’est là une des principales différences –, le personnage de Stone et De Palma est droit, honnête et loyal. Cela n’excuse pas le fait qu’il s’agit d’une crapule, mais d’une crapule humaine, encore doté d’un sens moral (très belle scène où il refuse de faire exploser la voiture de sa cible, en voyant que, contrairement au plan prévu, toute sa famille est dedans). Chez De Palma, comme chez Coppola, le gangster est un être complexe, sans cesse tiraillé entre son choix, conscient, de faire le mal et son impossibilité à effacer le bien qui subsiste en lui.
Dès lors, Scarface sait nous proposer des personnages attachants, à la psychologie élaborée, tout en gardant constamment le recul nécessaire, évitant ainsi d’excuser les actes condamnables de Montana. La mise en scène y est d’ailleurs pour beaucoup, la fluidité et l’ampleur de la photographie de John A. Alonzo traduisant à merveille, et peut-être mieux que des dialogues par ailleurs affûtés, la déchéance du gangster (Montana seul, comme égaré dans son immense salle de bain, ou bien Montana semblant écrasé par la montagne de drogue qui trône sur son bureau). En outre, par ses choix visuels extrêmement réfléchis, la mise en scène de Palma témoigne d’une maîtrise constante de la violence (la scène de la tronçonneuse ou la fusillade finale), préférant suggérer que montrer, à mille lieues des outrances devenues le lot commun du cinéma contemporain. Ainsi, par son scénario sans manichéisme et sa mise en scène grandiose, Scarface se hisse aisément au-dessus du lot, nous offrant un jalon incontournable du film de gangster.