Le "Scarface" de De Palma, largement rejeté par la critique à sa sortie pour ses délires outranciers, est donc devenu avec le temps un film mythique, pour le moins paradoxal : alors que le scénario d'Oliver Stone est impitoyable dans sa description des mécanismes d'auto-destruction qui amèneront la déchéance de Tony Montana (on remarquera que c'est ce qui reste d'humain en lui qui le tuera...), le gangsta rap aura préféré se souvenir de l'ascension fulgurante ("The World Is Yours"), symbolisée par ce luxe clinquant et cet arrivisme grossier qui semble tant fasciner la jeunesse démunie. Les fans de De Palma - dont je suis - trouveront intéressant de réaliser combien ce film est typique de la manière de notre "super-auteur" : tendance à un opératisme vulgaire qui gonfle les sentiments les plus basiques (la jalousie, la vengeance), citations hitchcockiennes (la scène de l'attentat avorté est un hommage touchant au Maître...), obsession quant au pouvoir de l'image associée au contrôle (les écrans de vidéo-surveillance, la caméra espion dans l'horloge), etc. C'est néanmoins au premier degré que "Scarface" fonctionne le mieux, malgré - ou à cause de - les années : scènes de violence (et d'ingestion de drogues) inoubliables parce que fantasmagoriques et outrancières, impressionnante interprétation d'un Pacino en permanence sur la corde raide entre grotesque et intensité surhumaine (une leçon sur la manière d'en faire toujours trop sans jamais perdre de vue l'humanité de son personnage), apparition sublime de Michelle Pfeiffer... les raisons d'aimer "Scarface" ne manquent toujours pas.