De Palma a réalisé pas mal de bons films, dont un classique incontournable des années 80. Pourtant ce n’est pas son meilleur film, ni son plus grand tour de force esthétique, ce fameux Scarface. C’est une commande, avec un scénario d’Oliver Stone, jugé trop inexpérimenté à l’époque pour réaliser le film. On voulait un gars avec le sens du spectacle, et un métier très sûr, et surtout capable de s’adapter. De Palma. Pour un film de commande, que je regarde pour la énième fois, je dois reconnaître qu’à chaque fois, la lecture procure un plaisir presque coupable. L’histoire, je la connais par cœur, l’action est stylisée, dans un mélange de fun, et de violence graphique, très en vogue ces années-là, les riches années 80. Et pourtant il fonctionne encore, le film. Ce n’est que l’histoire d’un petit gangster de rue, petite frappe qui va monter les échelons vite, à coups de révolver et de sachet de coke. Al Pacino. Impérial.
C’est lui l’atout-maître, capable de donner toute la force pour qu’on y croit, et toute la distance pour qu’on aime le personnage, qui est pourtant peu ragoutant en réalité. Tony Montana n’est pas un K d’or, un baron de la drogue, un homme d’affaires avisé, l’icône qu’il est devenu auprès de la génération Hip Hop, et de tous les cinéphiles amateurs de cinéma américain. Pacino se met à distance, et met son personnage à distance. Tony Montana est un loser. Le tour de force de De Palma, c’est d’en faire un héros ordinaire, donc un beautiful loser, proche de nous, finalement. Michelle Pfeiffer le lui dit dans le film : « Nous sommes des losers, Tony ! » Elle, elle a compris.
Malgré la villa pavée de marbre blanc, villa que vont imiter à l’identique les « padrone » de la mafia napolitaine, (incroyable retour du refoulé, quand même !), eux-aussi sont amateurs du film. Malgré les répliques que l’on connaît par cœur, malgré le jeu de Pacino qui en a inspiré plus d’un, (New Jack City, King Of New-York, entre autres…). Alors qu’il règle ses comptes avec son personnage du Parrain de Coppola, Michael Corleone, redevenu humain, misérable, pitoyable, tueur à gages, flambeur, frimeur, nouveau riche, donc pas riche du tout, amoureux de la femme d’un autre, une blonde, reflet de l’Amérique qu’il phantasme. Ce n’est pas un remake du Scarface de Hawks, ce n’est pas un « vrai » film de gangster, c’est un film sur les années 80, et sur l’échec. On fait tout pour ne pas le voir, alors que la fin est édifiante. Il suffit de voir Tony seul, dans son immense jacuzzi, ou dans son fauteuil présidentiel en pur cuir noir ivoire ; tout seul, car il a fait le vide autour de lui, avec de la poudre blanche dans le nez, car il va bientôt quitter la scène. J’avais oublié junkie dans la liste des défauts. Junkie, mauvais fils, jaloux même des amants de sa sœur, possessif, caractériel. Et voici le final, sanglant, explosif et grotesque, très parlant. Montana, piégé comme un rat, tuant comme une machine enrayée, incapable de penser, ou de fuir. Très fort visuellement, très beau. Pacino a tellement la classe, qu’on en oublie qu’il ne joue rien moins qu’un loser magnifique. Exploit. Comme un autre héros moderne, de petite taille, obsédé par le succès, l’Amérique, les femmes plus grandes que lui, le pouvoir, l’argent, le respect. Money, power, and respect. Tout ce qui fait rêver un ancien président français. Hein ?
PS : Aux dernières nouvelles, il rebaptisé son parti, d'UMP à Les Républicains, Nicolas. Les socialistes devraient emboîter le pas, et vite se nommer, les Démocrates, au risque de devenir définitivement ringard aux yeux du monde.