You fuck with me, you fuckin' with the best !
Œuvre majeure du cinéma des années 80, Scarface marque les esprits de quiconque le regarde. On ne peut rester insensible à la puissance dévastatrice du film et de ses acteurs. Du formidable Robert Loggia à Michelle Pfeiffer en passant par Mary Elizabeth Mastrantonio, rarement un film a eu la joie d'être servi par des interprètes aussi impliqués. Impossible d'évoquer Scarface sans parler de l'interprétation d'Al Pacino. Ce dernier ne se contente pas d'interpréter Tony Montana. Il a créé Tony Montana. Il lui prête ses traits et à travers lui, il décuple à outrance un charisme fou et bestial. Je n'ai, de mémoire de spectateur, jamais vu un acteur réussir un tel tour de force !
Un casting quatre étoiles donc, pour ce qui restera facilement comme le meilleur film de Brian De Palma. Si ce dernier peut être fier. Il n'est cependant pas le seul responsable de la réussite du projet. En effet, l'autre nom et pivot central du film c'est Oliver Stone. Lorsqu'il entame l'écriture de Scarface, Oliver Stone sortait auréoler par le succès critique de Midnight Express (d'Alan Parker – 1978) et Conan Le Barbare (de John Milius – 1981), soit deux autres œuvres majeures qui ont fini par lui donner une crédibilité en tant que scénariste. Une crédibilité qui va lui permettre de s'en donner à cœur joie dans l'outrance.
Par la main d'Oliver Stone, Scarface se focalise donc sur Tony Montana, petit truand qui deviendra grand soit l'ascension et la chute d'un homme victime d'une société obnubilée par la réussite économique : le rêve américain. Qu'importent les moyens, ceux qui comptent c'est de parvenir à ses fins. Si nos chères racailles voient en Tony Montana le parfait exemple à suivre, c'est certainement parce qu'ils n'ont pas l'attirail intellectuel pour apprécier le personnage et le film à sa juste valeur. Si Tony Montana est un héro, c'est du côté de la tragédie grecque qu'il se trouve. Personnage dont l'égoïsme est ici poussé à son paroxysme, Tony Montana veut tout pour lui et n'aime que ce qui « est » lui. Tony Montana représente un monde avec sa propre ontologie. Aussitôt en dehors, il ne reconnaît plus les siens. Ni sa sœur, qu'il surprotège, ni Elvira qu'il rejette parce qu'elle refuse de lui donner une progéniture. Bref Tony Montana ne respecte que son propre « sang » (Cf. voyez le sort réservé à Mannie). Un pure être égoïste : « Toi tu peux apprendre, moi je veux posséder ce qui me revient" "Et qu'est ce qui te revient à toi Tony ?". "Le monde Chico et tout ce qu'il y a dedans"...
THE WORLD IS YOURS.
L'ingéniosité de Brian De Palma c'est d'avoir saisi cela au point de conférer au film non pas une mise en scène de polar classique, mais d'y avoir injecté ce qu'il sait faire de mieux : une dose de fantastique et de baroque. Le film est signé c'est sur ! Lorsque l'on voit les décors, les costumes, la mise en scène opératique, les miroirs, l'utilisation de la vision des caméras de surveillances comme moyen narratif, on est bel et bien en présence du réalisateur de Carrie ou Phantom of Paradise. Ainsi contrairement à la mode du polar des années 70 instigué par William Friedkin et Sidney Lumet, Scarface joue carrément la carte de la fiction pure. Ici il n'y a pas de point de vue visant à recréer un aspect documentaire en empruntant la caméra portée à l'épaule des reportages télés. Tout transpire, un univers, un monde... celui de Tony Montana. De son logis seigneurial aux murs rouges, en passant par les costumes, la manière de danser (regarder tous les films des années 70 et 80, et vous ne verrez jamais ça) jusqu'à la musique culte signée Giorgio Moroder... ect. vous êtes bien dans le monde de Scarface. Un monde égoïste et sans partage qui s'achèvera naturellement dans son propre sang: son monde est bel et bien à lui.
A la fois pamphlet social (Stone) et fiction pure (De Palma). Scarface est un opéra-polar culte dont la performance féroce d'Al Pacino fini par donner à Tony Montana le statut d'icône authentique. Du grand art !