Les analphabètes de l'âme
Scènes de la vie conjugale offre une schéma assez peu banal.
Ce sont 2h45 de dialogues denses et intenses.
Peu de changements de décors (un appartement, une maison de campagne, un bureau), peu d'extérieurs. Peu d'acteurs (6 au total ? mais dont 4 ne sont qu'aperçus, finalement).
Car le sujet est éminemment intérieur. Deux personnes, deux "intérieurs", donc, qui se jaugent, s'apprennent, se jugent, s'aiment (maladroitement), s'éloignent, se rapprochent.
Forcément, si le spectateur a 20 ans ou moins et que ses critères relationnels sont des échanges de textos ou la dernière émission de télé-réalité, la qualité extraordinaire de ce qui s'exprime dans ce film lui semblera au mieux d'un profond ennui, au pire d'une inutilité absolue.
Car il n'y a rien d'exceptionnel dans cette histoire simple: même les disputes sont rares (il n'y en a que deux, et encore l'une d'entre elles concerne un autre couple). Par contre, ce sont deux âmes qui sans cesse tentent de savoir où elles en sont, vis-à-vis de l'autre et vis-à-vis d'elles-mêmes. Ce sont deux membres d'un couple qui pensaient vivre l'amour parfait après 10 ans de mariage, avant que tout ne s'effondre, et qui vont tenter de s'adapter à leur cheminement intérieurs propres alors que tous les repères ont changés et que le temps passe.
Nul manichéisme (et dieu sait si on a bien une fois ou deux une forte envie de gifler Johan), nulle démonstration, ce sont des dialogues brillamment écrits, brillamment joués, et très sobrement filmés.
Une profonde réflexion sur la difficulté de vivre ensemble (finalement, quel est cet inconnu avec qui je partage ma vie depuis tant d'années ? Qui suis-je moi-même sinon un autre inconnu ?) sur la difficulté de savoir ce que l'on est, ce que l'on veut, et comment l'exprimer.
Johan le dit parfaitement lorsqu'il se rend compte que l'école et tous les enseignements qu'il a pu recevoir depuis qu'il est petit lui ont appris à calculer le carré de l'hypoténuse alors qu'il est resté, à quarante ans passés, un "analphabète de l'âme".
Ingmar Bergman en quittant son registre habituel, puisqu'il pensait au départ faire un travail pour la télé, plonge dans l'univers quotidien avec une maitrise absolue et signe une oeuvre simple et sublime.
A l'image de cette scène magnifique ou Johan, après plus de six mois d'absence, rend visite à Marianne et lorsque cette dernière commence à lui lire quelques pages de son nouveau carnet intime (récit illustré de photos de son enfance, qui rendent cette confession magnifique). On revient ensuite dans le salon ou Johan s'est lourdement endormi sur le canapé. Marianne ne s'en montrera pas vexée.
Passionnant et magnifique.