J'ai écrit en même temps que le film se déroulait... comme s'il fallait le décrypter.

Dès la première scène, le film apparaît comme une oeuvre sujectiviste et autocentrée sur un personnage brutal et maniaque. Le projet portera plusieurs titres : Angst (colère), Fear (peur)... Puis, on ne sait pas pourquoi, c'est Schizophrenia qui sort du lot, comme s'il s'agissait d'un nouveau titre de Dario Argento.

Colère contre peur. Comme deux choses qui s'imbriquent mais qui s'opposent aussi. Comme le bourreau et sa victime. Comme toi et moi, la bouche et l'oreille, le pénis et le vagin ou les Lego. L'antagonisme n'est pas aussi franc. D'ailleurs le titre est plus explicite à propos de ces deux états irrationnels : la colère c'est-à-dire la peur. L'un engendre l'autre. L'un est né de l'autre. La peur, c'est de pas savoir remédier à une crainte, c'est subir. La colère, c'est la révolte qui va amener le remède, c'est la verbalisation comportementale de la peur, c'est le moyen d'agir de la peur, c'est de ne plus subir. Comment une colère pourrait-elle engendrer la peur... si ce n'est la peur de soi-même ?

La toute première chose que dit la voix off : "La peur dans son regard et le couteau dans sa poitrine, c'est le dernier souvenir que j'ai de ma mère". Cette phrase, c'est une boussole pour tout ce qui suit parce que les plus tenaces d'entre nous, ceux qui sont accrochés à leur siège et n'ont pas l'intention de quitter la salle, auront envie de comprendre.

Ce film, finalement, c'est le processus des frustrations, de cet escalier qui va amener à une décompensation passagère et violente. Le protagoniste principal ne sait comment faire autrement. Il n'a pas de juste milieu. D'ailleurs, le personnage ne parle pas, ne dialogue que peu, tout se fait par l'intermédiaire de cette voix off comme s'il s'agissait d'une bombe à retardement, d'une cocotte-minute sous pression.

Dans la prison, on le voit il mange, il se rase : il maîtrise son espace et son quotidien - à vrai dire il ne vit rien que par l'excitation de l'idée de s'envoyer une victime à sa sortie (il ne parle que de fleurs au psychiatre de la prison). A sa sortie, première frustration : personne pour le chercher. Mais ça l'arrange et il l'explique très bien. La première fois qu'il rentre dans le bar, il est pris en transe car l'idée l'excite d'aborder les jeunes filles. Il s'en suit une série de très très gros plan (je ne sais pas comment on appelle ça) montrant des détails organiques (bouche, oeil, bouche, oeil) et érotiques. Mais comme il ne peut concrétiser son plan et qu'il se sent observés par tous, il prend la sortie. Frustration et premier contact avec l'autre. Il faut comprendre que la frustration et graduelle et n'a aucune résorption classique. Ensuite, il prend un taxi que quelqu'un "pique" sous son nez. Frustration. Il prend le taxi, il remédie à sa colère contre une ex avec l'idée approximative de se servir de ses lacets pour étrangler, puis il fuit. Voilà moi, c'est ce que j'aime bien dans un film : la graduation d'éléments à suspense, du plus petit au plus grand. Et là, c'est clairvoyant.

La nuit qu'il passe dan la maison, j'avoue, j'ai participé mais bon, il est tellement maladroit et inconséquent que ça donne envie de gueuler dès fois. Puis, je me suis aperçu que lui et moi, on ne se faisait pas le film au même niveau. Vraiment trop irrationnel pour moi.

Je pensais à "Henry, portrait d'un serial-killer" dans un premier temps. Mais le film me fait plus clairement penser à "Pourquoi monsieur R. est-il atteint de folie meurtrière ?" de Fassbinder. Un film que j'aime beaucoup mais où - et c'est la différence avec ce film - le protagoniste principal n'a jamais tué.

Dans la maison, nous découvrons qu'il a peur de tout, depuis l'enfance (pas pour rien d'ailleurs). Pas anxieux. Juste terrifié. Il se met perpétuellement en situation d'avoir peur. Il fuit mais ne peut pas donc il met en oeuvre ce qui va permettre d'ôter la situation, la pensée et l'objet de sa peur : il tue... maladroitement.

Avec un réalisme allemand - presqu'un folklore pour ainsi dire, le film traite aussi du décalage entre le fantasme et la réalité. Le protagoniste a besoin que la réalité corrobore son fantasme pour se désenvoûter de cette peur durable dont la prison le protégeait.

J'ai bien aimé lorsqu'il lie ces deux victimes alors que le discours (en voix off toujours) évoque ce qu'il a fait au couvent, la manière dont ses parents l'ont renié, comme il se prenait pour un cochon dans une ferme, etc. Comme si le bourreau avait l'esprit ailleurs ou n'était pas à ce qu'il faisait. Et on le comprend bout d'un moment, il ne veut pas tuer pour tuer ; il veut tuer pour que cela lui soit thérapeutique, pour ressentir autre chose que la peur. Peut-être tue-t-il même pour se défendre, comme il se défend en lui-même. Car quoi qu'il en soit, tout ce qu'il met en oeuvre est du ressort de la défense. Colère, peur, mécanisme de de défense. Ce qu'il n'arrive jamais à faire. Enfin, c'est ce que je pense mais cela n'est qu'une supposition.

Pourquoi la tue-t-il dans le sous-terrain ? Parce qu'en ayant peur, elle l'a mis en colère. De ces colères qui vous retranche en vous-même et qui fait que la peur devient intimement lié au sadisme. Il attendait cette peur comme une nourriture. Il attendait peut-être une réaction. D'ailleurs, belle scène. Autre chose que j'ai bien apprécié, c'est le diagnostic psychiatrique en guise de générique.

Je n'ai pas bien compris s'il y a viol ou une sorte de vampirisation cul nu après le meurtre.

Le fait d'être excité par le fait d'embarquer toute la famille, c'est son remède, sa stratégie. Il a vaincu sa terreur. Il n'est plus frustré tant qu'il aura ses trophées. D'ailleurs, il l'avoue : il est convaincu de faire peur à ces prochaines victimes s'il garde ses trophées. But : se nourrir à nouveau de la peur car tant qu'il y aura de de la colère, il recréera le sentiment d'amour maternel et ambivalent qu'épouvrait pour lui sa grand-mère. Fantasme à nouveau. Les mouvements de caméra deviennent plus fluides et aériens, plus libres que le personnage, momentanément apaisé.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas un psychopathe. Il est dissocié. Deux choses totalement différentes.

***

J'ai un peu mal au cinéma cependant - et je terminerai sur cette note avant une note plus musicale.

Ce film de 1983 a été enterré. Il ne correspondait certainement pas aux diktat de la culture cinématographique autrichienne. Et c'est ainsi que nous perdons énormément d'oeuvres avec ce tri capitaliste de l'histoire. Oui, j'accuse un certain mode de pensée qui préfère tirer du profit au détriment de la qualité culturelle.

Et des Angst, il y en a des millions dans le monde tandis que les systèmes de productions et de distribution ont les yeux rivés sur l'Amérique depuis l'après-guerre ! J'ai eu la chance de connaître ce film bien avant qu'il trouve un nouvel essor. Aujourd'hui, il est une référence. Ce n'est pas un hasard non plus s'il trouve un nouvel élan : il convient très bien à la société de nos jours. La subjectivité d'un héros, l'ultraviolence réaliste et plus que tout, la morale qui peut s'en suivre sur le tout sécuritaire et sur la responsabilité individuelle qui anime les campagnes présidentielles partout dans les pays post-industriels depuis trente ans (rappelons que notre protagoniste principal sortait tout juste de prison). Le mérite que Angst a eu, c'est d'atténuer le côté démagogique inhérent à ce type de projet : non, la violence n'y est pas esthétique.

Mais je n'oublie pas qu'il faut continuer de chercher, en faisant fi de ses a priori, en se méfiant de ce qui est distribué, de ce qui transparaît des pays étrangers dans notre pays - le plus souvent, nous avons à faire à des clichés culturels.

Faîtes votre cinéma. Regardez à l'est. Regardez dans le passé de chaque pays, même disparus.

***

Chanson que m'a rappellé ce film : http://www.youtube.com/watch?v=NLdBN6kXU_M
Andy-Capet
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le 9 févr. 2013

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Andy Capet

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