Abandonnant momentanément ses comparses Simon Pegg et Nick Frost, Edgar Wright part à l'assaut de la perfide Hollywood, adaptant pour le grand écran la série de comic-books "Scott Pilgrim V.S. The World" imaginée par Bryan Lee O'Malley, joyeux fourre-tout aux diverses influences issues notamment de la contre-culture doublé d'un récit bien plus profond qu'il n'y parait, à la limite de la psychanalyse.
Jouant constamment avec les différents médias et les références, Edgar Wright s'empare du fric mis à sa disposition et s'éclate comme un malade, faisant tout péter autour de lui à un rythme effréné, dégomme au bulldozer la frontière qui séparait le cinéma du jeu vidéo et de la bande dessinée et fait entrer à grand coup de marteau-piqueur le septième art dans le vingt-et-unième siècle, proposant aux spectateurs médusés (ou éreintés) une sarabande de couleurs, d'effets délirants et de sons où partouzent dans l'allégresse Super Mario, Akira, Beck, Bollywood et Seinfeld.
Bien loin de se laisser bouffer par une entreprise aussi énorme, Edgar Wright ne conserve du matériau original que l'essentiel, s'appropriant totalement la création d'O'Malley afin de continuer son exploration de la maturité masculine (un thème récurrent dans son oeuvre), à travers le portrait d'un grand gamin bloqué au stade adolescent et incapable d'avancer aussi bien professionnellement que sentimentalement, obligé de s'inventer un univers bien à lui, avec ses codes rassurants, dans le seul but d'avoir les couilles nécessaires pour encaisser le passé de sa dulcinée et de faire enfin face à ses responsabilités et affronter sa vie.
Bien plus qu'une simple branlette pour geeks, "Scott Pilgrim V.S. The World" décrit parfaitement la génération Nintendo, avec son immaturité, sa fougue et sa façon de voir le monde, une nation de gamins n'ayant jamais véritablement atteint le stade adulte et qui de toute façon n'en a rien à carrer, affrontant chaque journée et le reste du monde par l'intermédiaire de ses propres références, comme si Yoda et Kurt Cobain se substituaient à Freud et à Jung.
Le metteur en scène de "Shaun of the dead" en profite au passage pour offrir une des histoires d'amour les plus pertinentes de ces dernières années avec le "Eternal sunshine of the spotless mind" de Michel Gondry, ayant visiblement tout compris aux rapports sentimentaux de notre époque, mettant bien en lumière l'extrême difficulté de prendre du recul sur nous-même et de s'extraire d'une relation destructrice, tout comme l'importance d'accepter que l'être aimé a eu une vie avant nous et surtout, qu'il est primordiale d'être en paix avec soit-même avant d'entrer dans la vie d'autrui.
Dans la peau de ses deux êtres fragilisés par une vie sentimentale chaotique, Michael Cera et la sublime Mary Elizabeth Winstead sont impeccables, lui composant un Scott Pilgrim légèrement différent du comic-book, plus névrosé mais tout aussi touchant, elle incarnant la parfaite image de la girl next door inaccessible. Autour d'eux gravite un casting fort sympathique allant de Chris Evans à Jason Schwartzman en passant par Alison Pill et Kieran Culkin, incarnant tous des seconds rôles aussi délirants qu'attachants.
Expérimentant à tout va, poussant à son paroxysme ce qu'il avait déjà esquissé dans ses oeuvres précédentes, Edgar Wright enfante un grand-huit péllicullé fonçant à la vitesse d'une boule de flipper, fusion parfaite et frénétique entre les arts les plus populaires de notre siècle au son d'une bande son foutrement entraînante, graine de film culte utilisant sa condition d'oeuvre geek afin de mieux scanner toute une génération, scandaleusement sortie en catimini chez nous six mois après son énorme flop aux USA, à n'en point douter en avance sur son temps, et qui laissera sur le carreau beaucoup de spectateurs pendant que les autres prendront un pied monumental et réfléchiront peut-être à leur existence. Cinéaste virtuose et passionnant, aussi généreux qu'intelligent, Edgar Wright semble bel et bien être le digne héritier d'un John Landis. En souhaitant de toute mon âme qu'il ne finisse pas pareil.