Un film sur les geeks, par les geeks, pour les geeks. Un argument qu'on entend de plus en plus souvent pour, le plus souvent, justifier des produits foutraques et lourdingues défiant les lois du bon goût au nom de l'internationale geek. Un argument irrémédiablement con ("non mais t'as rien compris, c'est pas mauvais, c'est pour les geeks") et passablement irritant. Cependant cette phrase résume parfaitement "Scott Pilgrim". Mais pour une fois cette assertion ne sert pas d'argument bidon pour entériner des pseudo qualités qui serait invisible à un oeil non geek. Non, cette fois le "film de geek" trouve un vrai sens dans une vraie démarche de mise en scène.
Si Edgar Wright ose les effets tape-à-l'oeil (le film n'est pratiquement que ça) il ne le fait pas simplement par onanisme. Le monde de Scott Pilgrim est un monde où les bruitages apparaissent à l'écran (onomatopée ou visualisation de la propagation sonore), où les perspectives sont fluctuantes, où des barres de vie apparaissent à l'écran, où l'espace est réduit à sa plus strict nécessité (voir les nombreux jeux de raccord nous catapultant d'un endroit à un autre alors que les personnages observent une continuité)...
Le monde de Scott Pilgrim c'est simplement le monde normal... mais déformé par le prisme geek. Un monde où tout un tas d'élément de la culture geek sont naturels pour les personnages et donc apparaissent naturellement dans l'univers du film.
Personne ne s'en étonne car il n'y a pas lieu de s'en étonner. L'apparition du logo Universal en 8-bit (transformation graphique et sonore) en début de film n'est pas qu'un gimmick, c'est un véritable avertissement, une note d'intention.
C'est en traitant ces effets intrusifs avec un naturel déconcertant (le cadrage semble parfois ne pas en tenir compte, tel un élément de décor comme un autre) qu'il les rend, paradoxalement, transparent, naturel. Tout ceci tient la route grâce à la cohérence de ces références. Issues de différents horizons (musical, vidéoludique, cinématographique, BD) elles s'entrechoquent et se répondent pour dresser un portrait très juste de ce que certains illettrés appellent, encore aujourd'hui, la "génération digitale" (sachez-le : la traduction de "digital" est "numérique" et non "digitale" qui renvoie aux doigts... même babelfish vous le dira).
Bien sûr le traitement de l'univers est tellement jusqu'au-boutiste qu'il exclu d'emblée toute une frange de spectateurs. Un problème pour eux, tant pis, mais c'est un choix qui témoigne d'une sincérité sans faille. Edgar Wright ne fait pas de compromis, il ne cherche pas à plaire au plus grand nombre, il ne cherche pas à faire grassement du pied au geek : il cherche à lui parler. Le film, et son réalisateur, respecte le public et c'est là que se joue l'énorme différence qui sépare Scott Pilgrim de tous les autres film estampillés "geek".
La démarche de Wright n'est pas une stratégie marketing mais témoigne bien d'une recherche esthétique. On joue avec les formes, avec les sensations (le rapport vision-ouïe par exemple), avec les conventions (le cadrage qui passe de cinémascope à 16/9 et qui fait un détour par le carré au gré de l'action). Tapageur : oui. Gratuit : non.
Mais Scott Pilgrim ce n'est pas qu'un réalisateur fou qui dynamite les conventions, c'est aussi une histoire et des personnages.
Il y a Wallace, le colloc' sardonico-gay en contre-point parfait de Scott. Il y a Ramona qui arrive à distiller du charme fou sans faire la pouffe (Marie-Elizabeth Winstead, love at first sight, logique). Il y a Lucas Lee dont la mégalomanie est parfaitement restituée par un Chris Evans en pleine forme. Et puis il y a Gideon, psychopathe délirant incarné par un Jason Schwartzman fidèle à lui-même : génial.
Scott, avec sa quête d'amour et son attitude d'empoté qui devient attachant même si t'as envie de lui coller quelques claques.
C'est dommage que le scénario est assez poussif sur la fin et que la conclusion est vraiment trop gnian gnian (aussi bien dans l'écriture que dans le traitement).
C'est là qu'on s'aperçoit qu'on vient juste d'assister à un teen movie banal avec un enrobage flamboyant. Un constat qui déçoit forcément un peu, l'histoire aurait mérité un peu d'audace, elle aussi.
Reste des passages loufoques particulièrement bon (les duels d'une manière général mais SURTOUT le duel de basse, un "Scott is'nt here" vraiment fendard, etc...), une bande son qui déboîte bien comme il faut et un punch indéniable de la mise en image (on ne le répétera jamais assez). Scott Pilgrim c'est donc tout un tas de bons moments, de moments parfois même géniaux mais qui restent un peu coincés dans un récit pataud. Pas de quoi bouder son plaisir pour autant.
Scott Pilgrim : c'est bon, ça fait plaisir et c'est loin d'être idiot.