Sea fog s'attaquait au délicat sujet des passeurs (ici, dans le contexte classique de passage entre les deux Corées) avec des promesses de noirceurs et de réalisme. Un bon sujet qui ne devrait toutefois pas être mené comme un Transperce-neige pour pouvoir prétendre s'inscrire un peu dans la réalité. Coup de bol, le film s'intéresse davantage aux actions des personnages qu'à un point de vue moral, ce qui donne quelques explosions de violence bien dramatisées car elles sont complètement logiques dans le contexte, et qu'elles s'enchaînent de façon cohérente. On suis donc toutes les étapes qui amènent une équipe de pêcheurs sur la paille à passer dans le traffic d'immigrés clandestins, assurant le passage d'un gros groupe d'entre eux. A ce stade, le film est sommaire dans sa caractérisation des protagonistes, et conservera sa démarche quand les choses se corsent (en trouvant un côté proche de Dogville, évidemment avec la touche asiatique qui exagère toujours un peu le trait). C'est un peu ce qui nuance le jusqu'auboutisme du film : les attitudes de ses personnages se manifestent parfois avec trop peu de retenue pour éviter l'appellation de clichés. Mais ces clichés fonctionnent, et jouent leur rôle dans la suite des évènements.


Le personnage du capitaine est surement l'un des plus intéressants à suivre, car il est celui qui lance la démarche et qui prend l'essentiel des décisions au cours de la traversée. Il est aussi celuiqui endosse toute la responsabilité de l'affaire si les choses tournent mal. Planté dans un contexte de délabrement moral lorgnant vers l'apathie (réaction molle et ton résigné quand il apprend que sa femme le trompe), il garde finalement comme stricte motivation la remise en état de son instrument de travail qui demeure sa dernière fierté. Et quand il s'agit de gérer les clandestins, c'est celui qui met rapidement les points sur les i en faisant preuve de violence quand il sent la moindre menace pesant sur ses responsabilités. C'est finalement en cela qu'il apparaît comme le plus radical des personnages, sans avoir toutefois de penchants pour l'humiliation ou la domination des clandestins (contrairement à une autre partie de l'équipage, qui les méprise plus ou moins ouvertement). Il est simplement sans pitié et assume toujours ses choix jusqu'au bout, avec logique et pragmatisme.


C'est d'ailleurs ce pragmatisme qui permet à Sea Fog de prendre un peu de distance par rapport à son message social (bien présent, parfois appuyé (surtout dans la VF, médiocre)), laissant les actes parler et contemplant avec impartialité le déroulement du voyage. C'est le retournement tragique de milieu de film qui le fait vraiment évoluer vers un climat beaucoup plus viscéral que le simple pensum humaniste, en lorgnant vers une sorte de thriller survival bien plus immersive et efficace que ne renierait pas dans le glauque un certain Lars von Trier. Précis et efficace, il brode sa fiction sur une issue potentielle de ces voyages illégaux, en se retenant de passer dans le registre tragique par de nouveaux enjeux qui assurent l'originalité et la tension du récit. Très bonne surprise que ce Sea Fog, qui rejoint Deephan dans la case des films sur l'émigration qui touchent juste.

Voracinéphile
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2015

Créée

le 4 oct. 2015

Critique lue 308 fois

6 j'aime

2 commentaires

Voracinéphile

Écrit par

Critique lue 308 fois

6
2

D'autres avis sur Sea Fog : Les Clandestins

Sea Fog : Les Clandestins
Vivienn
7

En pleine tempête

Passé l’excitation de retrouver Bong Joon-ho et Shim Sung-bo à la co-écriture d’un même film, plus de dix ans après Memories of Murder, difficile de contenir son impatience : et pourtant, c’est...

le 1 avr. 2015

38 j'aime

Sea Fog : Les Clandestins
LeBarberousse
7

Chronique d'un naufrage annoncé

Depuis ces vingt dernières années des réalisateurs tels que Park Chan-Wook, Kim Jee-Woon, Na Hong-Jin, Hong Sang-Soo, Lee Chang-Dong, Kim Ki-Duk, Im Sang-Soo ou Bong Joon-Ho pour ne citer qu’eux ont...

le 10 nov. 2014

23 j'aime

1

Sea Fog : Les Clandestins
Gand-Alf
7

Dans la brume électrique.

Scénariste du grandiose Memories of Murder, Shim Sung-Bo passe le cap de la mise en scène avec Sea Fog, sous le parrainage du cinéaste Bong Joon-Ho, également co-scénariste de ce premier essai très...

le 21 mars 2016

19 j'aime

Du même critique

Alien: Romulus
Voracinéphile
5

Le film qui a oublié d'être un film

On y est. Je peux dire que je l'avais attendu, je peux dire que j'avais des espoirs, je l'ai sûrement mérité. Non que je cède au désespoir, mais qu'après un remake comme celui d'Evil Dead, ou une...

le 14 août 2024

178 j'aime

48

2001 : L'Odyssée de l'espace
Voracinéphile
5

The golden void

Il faut être de mauvaise foi pour oser critiquer LE chef d’œuvre de SF de l’histoire du cinéma. Le monument intouchable et immaculé. En l’occurrence, il est vrai que 2001 est intelligent dans sa...

le 15 déc. 2013

102 j'aime

116

Hannibal
Voracinéphile
3

Canine creuse

Ah, rarement une série m’aura refroidi aussi vite, et aussi méchamment (mon seul exemple en tête : Paranoia agent, qui commençait merveilleusement (les 5 premiers épisodes sont parfaits à tous les...

le 1 oct. 2013

70 j'aime

36