Donnez-lui ma peau
Alors que l'Allemagne nazie lance une offensive contre l'URSS, les communistes rejoignent la résistance et, lorsqu'un jeune militant abat un militaire allemand, le gouvernement de Vichy décide...
le 19 juil. 2015
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Il ne me semble pas que Costa-Gavras soit particulièrement réputé pour la finesse de ses analyses politiques et historiques ou de ses réquisitoires, mais c’est précisément cette attitude offensive, cette application dans le rentre-dedans qui fait son style et parfois fonctionne. Du silence du Vatican durant la Seconde Guerre mondiale (Amen, qui en fait trop ou pas assez à mon goût) à l’assassinat du député progressiste grec Grigóris Lambrákis (Z, de bien meilleure tenue), il puise son inspiration dans l’Histoire et ses dérives. Ici, son regard se pose sur le climat très particulier de la France vichyste de 1941, à la veille de la création des "sections spéciales" du titre.
Le 21 août 1941, Pierre Georges, un résistant communiste, commet le premier attentat meurtrier contre les troupes d’occupation en assassinant un militaire de la Kriegsmarine (c’est le fameux "attentat du métro Barbès"). L’Allemagne nazie réclame alors des représailles auprès des autorités françaises du régime de Vichy : elles ne tarderont pas, non sans un excès de zèle, à mettre en place les fameuses sections spéciales auprès de chaque cour d’appel, sortes de tribunaux d'exception chargés de juger communistes, anarchistes, et autres déviants. Dans le film de Costa-Gavras, le maréchal Pétain reste en retrait, simple pantin dont on ne verra jamais le visage, uniquement les bras autoritaires et les manches remplies de décorations militaires, alors qu’il donne ses ordres. C’est le Ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu (Michael Lonsdale, impeccable connard) qui fera tout pour que la loi soit promulguée le plus rapidement possible, avec effet rétroactif immédiat, fort des pleins pouvoirs qui lui sont accordés le soir de l’attentat. Antidatée pour donner l’impression qu’elle ne s’inscrit pas dans le feu de l’actualité, cette loi sera le bras armé d’une justice (ou plutôt d’une parodie de justice) aux ordres du pouvoir.
Un régime d’exception, un Ministre de l'Intérieur assez peu affable (euphémisme), la célèbre raison d’État, l’opposition de quelques magistrats, et l’application immédiate d’une loi allant à rebours des sentiers démocratiques et juridiques habituels : cela ne vous dit rien ? Les parallèles avec des événements récents sont aussi nombreux que dérangeants, même s’il serait abusif d’établir une stricte corrélation entre les assignations à résidence qui ont criblé la France de 2015 et les trois condamnations à mort (par guillotine sur la place publique) qui ont endeuillé celle de 1941. Mais ce passé résonne dans notre présent de façon tout à fait singulière, il invite à prendre du recul et adopter un autre regard (si ce n'était pas déjà fait) sur la vague de décisions politiques qui ont suivi la mise en place de l’état d’urgence (lire le bilan effectué par La Quadrature du Net à ce sujet : recensement des joies (ou pas) de l'état d'urgence en France).
Pour le reste, Section spéciale prend la forme d’un violent réquisitoire contre la France collabo et les agents sans scrupules du pouvoir d'hier comme d'aujourd'hui, en détaillant assez scolairement (le propre de beaucoup de reconstitutions historiques) les rouages de la machine institutionnelle. Le film est sous certains aspects plutôt grand public, mais il assène des vérités peu agréables à entendre sur cet intermède historique (et qui suscitèrent à l’époque, dans les années 70, des réactions violentes de la part des magistrats). Les politiques y sont dépeints, pour beaucoup, comme des hommes à l’opportunisme patent, sans cesse renouvelé, les yeux rivés sur leur carrière depuis l'ENA, n’hésitant pas à instrumentaliser la justice pour asseoir leur autorité. Quelque part, il donne à voir ce que pourrait être la naissance d’un régime de dictature, dans un cadre dépourvu d'opposition structurée, exerçant son pouvoir grandissant dans le strict espace que lui confère la loi — qu’il a lui-même modelée. Ce n'est pas la nomination d'un chancelier de la République de Weimar en 1933, mais presque. Costa-Gavras en fait des tonnes pour souligner (surligner au stabilo serait plus juste) l’arbitraire de la situation, des dossiers de prisonniers à exécuter que l’on choisit au hasard aux gestes mécaniques du procureur général et du président de ladite section spéciale. Les citations des grands principes fondateurs de la constitution, comme la séparation des pouvoirs théorisée par Locke et Montesquieu, auraient gagnées à être plus subtiles et mieux contextualisées. Mais le film a le mérite non négligeable de se saisir d'un événement historique assez peu connu, et la dimension contemporaine de ses enjeux reste saisissante. Enfin, le réalisateur aura au moins eu le très bon goût de confier le rôle (mineur) du secrétaire général de L’Humanité à Bruno Cremer, auteur d'un discours à la morale un peu trop facile et à la signature un peu trop évidente, et celui (encore plus mineur) d’un des rares magistrats intègres à Michel Galabru.
http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Section-Speciale-de-Costa-Gavras-1975
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Créée
le 26 janv. 2016
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