Le désir est tel qu’il peut conduire à un égarement passager de la raison dont les conséquences nous poursuivent pour toujours. C’est de ce point de départ que Germi construit un scénario génial: une fougue, soudaine et non contrôlée, entraîne Peppino dans des péripéties insoupçonnées, pleines d’humour et grâce auxquelles Germi nous dresse un tableau social des mœurs siciliennes.
Peut-on succomber à la tentation sans avoir à endurer des souffrances éternelles? Combien de jeunes innocents dans nos sociétés traditionalistes d’il y a encore quelques dizaines d’années ne se sont posé cette question, tiraillés entre l’ardeur de leur chair et le fouet de la morale? À l’époque des applications de rencontre et de la sexualité débridée contemporaines, tant de scrupules peuvent faire sourire. Or, l’une des dialectiques fondatrices de notre civilisation judéo-chrétienne repose sur les notions de plaisir et de culpabilité, l’exemple premier étant Adam et Ève qui, en violant l’interdit, pèchent originellement et inscrivent le Mal dans la chair de toutes les générations futures.
Peppino et Agnese ne le savent que trop : ne pouvant résister à leur pulsion charnelle, il consomme eux aussi le fruit défendu et seront victimes du regard moralisateur des autres, de leur jugement, puis de la calomnie. À l’inverse des textes sacrés, la Faute ici n’est pas condamnée par Dieu: chaque habitant est en soi un petit dieu de village qui tranche sans appel lorsqu’il s’agit de condamner les autres, bien que chacun ait son péché véniel à confesser. Cette hypocrisie est bien mise en avant par Germi qui montre l’écart entre ce que le peuple dit et ce qu’il fait (l’arrivée des prostituées, les révélations de la mère de Peppino), peuple par ailleurs au comportement grégaire et grotesque, ce que les somptueux gros plans (en contre-plongée généralement) sur la foule rendent parfaitement.
Cependant, si certains en prennent pour leur grade, surtout les enfants de Don Vincenzo, (probablement rejetons d’une union entre cousins comme il était alors habituel en Sicile), d’autres ressortent anoblis, à l’image de Don Vincenzo lui-même, véritable metteur en scène, projection de Germi sans aucun doute, écrivant un récit dans le récit, manipulant la galerie de personnages (bien croqués et représentatifs de la société d'alors), avec un sens de la direction, de l’écriture et du drame incroyables, piqués au vif qu’il est par le risque de voir son sacro-saint honneur bafoué. Des scènes souvent comiques naissent de situations cocasses, de réactions démesurées, du décalage causé par la perception grave d’un fait en réalité assez ordinaire.
Toute une histoire donc, qui n’en finit jamais de grossir, tout comme le ventre d’Agnese, irrésistible jeune innocente pour laquelle n’importe quel homme digne de ce nom n'aurait hésité à pécher.