Voici un film de Jacques Rouffio qui ne "me" laisse jamais indifférent.
D'ailleurs plusieurs films de ce cinéaste m'ont laissé une trace assez indélébile, chacun pour des raisons très différentes : le sucre ou encore la passante du sans-souci …
Là, le scénario est de Georges Conchon, romancier auvergnat. Est-ce la raison pour laquelle le film a été tourné à Clermont-Ferrand ? Je ne sais pas. En fait, l'histoire repose sur des faits réels mais qui se sont produits dans une autre ville de province, à Reims. Mais, pour un ancien clermontois comme moi, on reconnait plein d'endroits comme la place de Jaude (celle avec la statue de Vercingétorix), la place de la Victoire proche de la cathédrale en basalte noir, le cimetière des Carmes, l'hôtel-Dieu, etc …
Mais ce ne sont pas seulement ces raisons qui m'attachent à ce film. Ce qui me fascine, c'est l'ambiance pourrie, poisseuse de la petite ville de province qui vit en autarcie et en silence entre des clans bien-pensants, bien "tradi" et devenus des institutions locales qui n'admettent que difficilement les intrus, surtout les nouveaux talents venus de l'extérieur, susceptibles de leur faire de l'ombre ou de leur prendre des parts de marché.
Ici, par exemple, on est dans le milieu médical où une lutte féroce oppose les cliniques privées à l'hôpital public. Justement, les cliniques privées sont le domaine du clan Brézé et le chirurgien de talent, Losseray, qui travaille à l'hôpital public par conviction, fait de l'ombre au clan Brézé qui voit dramatiquement son chiffre d'affaires baisser d'année en année. D'autant plus, que la rumeur publique laisserait penser que les chirurgiens des cliniques privées (le clan Brézé) ne valent pas tripette, qu'on y meure plus vite qu'à son tour. Lorsqu'un jour Losseray connait lui-même un problème de santé, le clan Brézé se frotte enfin les mains et exercera une pression phénoménale pour lui faire lâcher prise, pour le maîtriser, l'éliminer. Et tous les moyens, y compris les plus dégueulasses, seront employés.
J'ai beau connaître le film, l'avoir vu je ne sais pas combien de fois, rien ne parvient à me laisser indifférent, à ne pas me révolter contre ces salopards, ces bourgeois en bas de soie. Et je dois dire que le metteur en scène en rajoute pour bien faire comprendre au spectateur le message. Et, j'avoue que là, j'aime qu'on me mette les points sur les i … et qu'on actionne mon ressort caché de l'indignation. Entre le petit déj où le clan est traditionnellement réuni tous les matins, le diner où les serviteurs sont en costumes et perruques du XVIII ème siècle et le match de tennis de la fin qui signe la victoire du clan, mon cœur balance. Toujours avec mon nez qui frémit de dégout …
Mais il y a aussi le casting qui est largement à la hauteur.
Honneur à cette fripouille du patron du clan Brézé avec un Charles Vanel plus immonde que d'habitude. Un jour, il reçoit une gifle. Dès le départ, j'attends toujours le moment de cette gifle qui est si jouissive.
Face à Vanel, c'est un très bon Michel Piccoli dans le rôle du chirurgien harcelé, Losseray. Tout en mesure et empathie. Dont on sent la colère et l'amertume qui monte, qui monte … Excellent. Y-a-t-il des rôles où Piccoli n'est pas bon ? Je ne crois pas en connaître.
Quelques années auparavant, Vanel et sa clique avaient déjà éliminé, au forceps, un premier chirurgien, cette fois, en lui ruinant sa réputation et son honneur, joué par un Gérard Depardieu tonitruant et iconoclaste. Peut-être un chouïa trop, d'ailleurs.
Un détail de mise en scène qui en dit long : les très "class" Vanel (et son clan) opèrent en chemise et nœud papillon sous la blouse tandis que les chirurgiens (de talent) Piccoli et Depardieu opèrent torse nu ou avec juste un maillot sous la blouse.
La compagne de Piccoli est interprétée par Marina Vlady qui est une actrice qui ne me déçoit pas souvent ; ici, elle assiste impuissante mais solidaire aux problèmes de son mari et est très crédible.
Michel Auclair joue le rôle très ambigu d'un psychiatre ami de Piccoli et probablement taupe au profit du clan. Très bon aussi dans toute son onctuosité.
"Sept morts sur ordonnance" est un film dont la réalisation fourmille de petits détails bien vus et pleins de signification.
C'est un film passionnant, je crois l'avoir déjà dit. Superbement bien joué.
Après une grosse après-midi au jardin, j'avais peur de m'endormir devant le film. Il n'en a rien été car j'ai été, comme d'habitude, happé par le film. C'est bien la preuve que c'est un bon film, non ?