« A gentleman agreement »
Ce film est un condensé de génie.
D’une audace rare (nous sommes en 1933, un an avant le code Hays), il explore avec malice les subtilités du ménage à trois. Au centre, la femme, déconcertante de nonchalance, un mot qui revient souvent, muse et libre, délivrant un message féministe d’une rare puissance : « A thing happened to me that usually happens to men » : elle a à choisir parmi ses différentes conquêtes. Par la comparaison aux différents chapeau, elle fait d’eux des objets dont elle dispose.
Brillamment écrit, d’un rythme échevelé, très drôle dans ses réparties, les échanges sont des parties de ping pong où tout le monde jouit de sa place, finalement la plus naturelle.
En faisant de ses personnages des artistes miséreux, Lubitsch propose une réflexion très subtile sur l’art : l’artifice s’oppose au naturel, à savoir le désir, et plus clairement, le sexe. Gilda se veut être « the mother of arts », mais George le lui dit bien « We’re unreal, the tree of us, trying to play jokes on nature ».
Par un regard acerbe sur le reel (la scène de caricature programmatique dans le train, en ouverture), les artistes démysthifie le capitalisme naissant, raillant les publicitaires. « Sell anything you want but not me », dit Gilda à son mari en pleine soirée mondaine. « I’m sick of being a trademark married to a slogan ».
En passant par la case mariage, on achève de briser le carcan : la chambre nuptiale se visite dans une vitrine et on mesure la largeur de l’épouse avant de lui proposer une cage personnalisée. Le final, qui explose ces cadres est absolument jubilatoire. Au fake de la vie conjugale, qu’on ne cesse de comparer à une pièce de théâtre, s’oppose la nature et la spontanéité d’un trio hors norme, brillant et d’une impertinence absolument unique.
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