Corneau sombre, Dewaere halluciné.

Quand on lui parle de Série Noire Corneau répond « Je n'ai jamais su expliquer le scénario ou les personnages. Ce qui est sur c'est qu'à un moment s'est produit un déclic : voilà enfin un projet que j'ai envie de réaliser, pour voir ce que ça va donner ».
Comme plusieurs autre confrères cinéastes, Corneau a eu l'envie d'adapter un livre de Jim Thompson A Hell of a woman, dont il confie les dialogues à Georges Perec.
Ce dernier arrive avec brio à créer un monologue peu de fois partagé, très introspectif, avec des mots d'une banalité quotidienne, mais bien pensés et efficaces. Ses dialogues ont l'apparence du naturel sans jamais tomber dans le naturalisme, lui préférant l'irréalisme d'expressions détournées et d'un texte écrit au second degré. L'oral leur permet d'insister sur les changements de ton, les tics de langage et de mettre en évidence le pathétique du personnage.
Cela n'a pas été chose aisée de transposer les pensées, que le Frank Poupard du livre inscrivait dans son journal intime, en un flot nerveux récité par un Patrick Dewaere toujours en mouvement. Alain Corneau déclare d'ailleurs à son propos, que si l'acteur avait refusé le rôle il n'aurait probablement pas réalisé ce film.
Les personnages de Thompson, une fois adaptés à l'écran deviennent des icônes décalées d'une population de banlieue grise, morne, d'une pourriture glacée.
De la grand-mère maquerelle, au grec, victime naïve, en passant par Mona, jeune femme fatale quasi muette et empreinte d'une beauté mystérieuse... on est très loin du film policier français ou de la série noire américaine. En effet dans ce film, les références au genre sont indirectes : dans le générique ou pendant le meurtre de la vieille dame, on décèle l'influence de A mean streets de Scorcese, de Dog day afternoon de Sidney Lumet ou encore de Honeymoon killers de Leonard Kastle. Le cinéma noir est un cinéma en prise directe avec la réalité, qui a longtemps été méprisé culturellement.
Pour défendre le titre de son œuvre Série Noire, Corneau définit le genre : « La série noire est un genre innovant, même si c'est tentant, il ne faut pas plonger dans la nostalgie ou dans la référence. Le but étant de toujours innover. ».

On retrace ici l'épopée dérisoire d'un anti-héros, d'un Machiavel de fortune. On pourrait y voir un éloge de la bêtise qui fascine. Mais ce n'est pas du mépris que Corneau a pour son personnage, c'est un crétin subtil, un calculateur raté et un psychologue de comptoir. Sa force est de se croire systématiquement plus malin que les autres, de dépasser sa condition de type ordinaire. Et il est vrai qu'il a quelque chose en plus que ses congénères, un grain de folie, un goût de la démesure qui le distingue.
Il est entouré d'une ribambelle de personnages dénués de charisme, de raison, de moral... et ne peut au final compter sur aucun repère, aucun garde-fou.
Poupart, dès le début du film, s'applique à s'illusionner, à oublier qui il est et d'où il vient, en dansant sur du Duke Ellington, en se rêvant Crooner de terrain vague devant sa voiture. Il s'étourdit et reproduit des gestes qui ne sont pas les siens.

C'est un extraverti, un loquace pour qui parler est une nécessité. Il se saoule de ses propres mots et de son bagout. Il se parle à lui-même, se crie dessus, râle ou émet ses propres réflexions sur une situation, avec lui et lui seul pour interlocuteur.
Il passe la plupart de son temps à s'agiter, se rendre d'un endroit à l'autre, en vain puisqu'il ne peut pas échapper à sa condition, condamné à agir éternellement.
C'est un perdu aussi bien qu'un perdant, un raté, un mal marié. Il évolue dans un enfer urbain, un monde constitué de tours de béton plantées dans la boue et bercé par la mièvrerie musicale de l'époque. Un univers tout aussi dérangé en somme que son esprit.
Malgré ses meurtres, on ne peut s'empêcher d'éprouver de la sympathie pour ce paumé, un peu névrosé, mais pas psychopathe. Il est victime de son propre piège de manière irréversible et se retrouve écrasé par son quotidien et la mise en scène qu'il en fait.
Patrick Dewaere interprète à merveille ce personnage démesuré et halluciné.

Il insuffle même une force nouvelle au rôle, puisque Corneau lui laisse une grande liberté d'improvisation, ce qui lui permet d'apporter avec intensité et au premier degré des éléments de la personnalité de Frank qui ne se trouvaient pas dans le scénario. On fait alors de l'acteur le principal moteur du film. Les autres acteurs font preuve d'un jeu minimal et presque en retrait comme pour laisser cet halluciné de Poupard prendre toutes les initiatives. Dewaere doit donc donner à l'extrême, remplir le vide autour de lui par des gestes, des sauts, des cris... poussant son personnage jusqu'à l'irréalité, étirant le scénario loin de toute logique. Si bien qu'il finit par être le seul à y croire encore, à comprendre le plan, le comportement et les idées de Poupard. Le tournage a été court, une vingtaine de jours seulement et heureusement ! Patrick Dewaere a atteint à la fin du tournage ses limites physiques et morales.

Au-delà de sa qualité technique et plastique, le film, participe à une réflexion socioculturelle et psychologique. Les exclus, les marginaux de l'enfer urbain ne doivent penser qu'à leur confort, à rentrer dans les rangs. Corneau nous dresse la réalité sociale de l'hexagone à son époque, il transpose le genre de la série noire, au service de la détresse d'une classe sociale tout aussi sombre.


z0uan
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le 11 juil. 2011

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z0uan

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