Le flic des seventies est dans l’imaginaire collectif celui que les séries télévisées de l’époque ont façonné : intègre, héroïque, efficace et charmeur. Serpico propose un regard autrement plus abrasif sur le sujet en abordant de front la corruption généralisée de la police new-yorkaise.
La mise en scène épurée et proche du documentaire s’attarde sur les visages brillants de sueur dans une ville lépreuse dont chaque rue semble une impasse. L’arrivée de la jeune recrue Serpico commence comme un coup de vent frais. Excentrique, appréciant aussi bien la danse que les discussions philosophiques des hippies de son temps dont il reprend le code vestimentaire, le jeune flic dénote. Mais s’il est rendu attachant par Lumet dans sa vie privée, c’est pour mieux devenir le mouton noir de son milieu professionnel.
Al Pacino transmet à son personnage l’empreinte indélébile d’une personnalité hors-norme.
Sa moustache et sa tignasse, signes libertaires autant qu’atout professionnels pour se mêler dans la foule qu’on le charge de surveiller, font de lui un proscrit. Confondu avec les escrocs qu’il traque, il aura tôt fait de constater les bavures et les excès de ses collègues.
Dès lors, la machine est mise en place. Seul contre tous, Serpico s’isole et toutes les composantes de son héroïsme se retournent contre lui. Son intégrité est le grain de sable, voire l’insulte au système qui va s’échiner à l’écraser. Pacino, comme à son habitude, sait moduler avec finesse les inflexions entre l’euphorie et la paranoïa, la résistance et l’accablement. Embarquée kafkaïenne dans les arcanes d’un système clos jusqu’à son sommet, où les bakchich cèdent le pas aux querelles du pouvoir politique, le film suit la destruction lente d’un individu qui souhaitait simplement faire honnêtement son travail.
Criminel aux yeux de ses pairs, Serpico confond de plus en plus son apparence avec le camp adverse, ne s’adresse plus qu’aux rares compagnons de confiance, son chien, une souris ou un perroquet.
Jusqu’aux désillusions d’une enquête elle-même biaisée par les ambitions personnelles et carriéristes, Serpico voit se déliter sa vie personnelle et son parcours professionnel ; les récompenses qu’on lui proposera achèveront d’officialiser le fonctionnement abject du système.
Reste, de bout en bout, le regard du protagoniste, d’une intensité unique. Béant, dévorant avec indignation les affres du réel, et leur offrant en retour un silence qui impose le respect.
Autant d’indices sur celui que Lumet pose lui-même sur son sujet.

http://www.senscritique.com/liste/Top_Sidney_Lumet/451058
Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Politique, Dénonciation, Vus en 2014, Biopic et Top Sidney Lumet

Créée

le 22 avr. 2014

Critique lue 3.1K fois

116 j'aime

5 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 3.1K fois

116
5

D'autres avis sur Serpico

Serpico
Gothic
8

Le journal de l’âne Frank

Serpico est un des seuls Lumet que j'aie eu l'occasion de voir dans ma vie. Je sais, j'ai honte. Mais je me soigne ! Le trouver à petit prix dans un bac DVD tout récemment m'aura donc permis de le...

le 4 oct. 2013

94 j'aime

17

Serpico
Strangelove
8

"I just wanna go some place where I can do my job !"

Serpico est le 5e film de mon marathon Lumet. Sorti en 1974, un peu avant Un Après-Midi de Chien, le film appuie là où ça fait mal, et comporte de nombreux thèmes chers à Lumet, comme la corruption,...

le 31 août 2013

39 j'aime

8

Serpico
Velvetman
8

La mafia en uniforme

Bien après l’analyse du système judiciaire (12 Hommes en colère) et juste avant sa critique viscérale du monde médiatique (Network : main basse sur la télévision), Sidney Lumet met en lumière la...

le 21 janv. 2021

37 j'aime

2

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

773 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

714 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

616 j'aime

53