Ils sont rares les mélodrames contemporains à m'émouvoir, donc je vais essayer de ne pas trop gâcher ce plaisir.
Mathieu Amalric parvient à trouver un équilibre beau, juste et surtout attrayant dans la description de l'état d'esprit du personnage de Vicky Krieps (vue récemment dans Corsage) qui, comme le suggère le synopsis, "semble être une femme qui s'en va". On est à mi-chemin entre le film d'auteur français et le mystère, sur une ligne de crête fébrile, qui allie délicatesse du fond et étrangeté de la forme.
Autant la mise en scène s'affirme tout de suite à travers ses anomalies, invite à se poser de nombreuses questions sur la nature des images qui nous sont montrées, autant l'origine de ces dérèglements ne se dévoilera qu'au terme d'un long cheminement, de multiples vacillements. Serre moi fort (l'origine du titre omettant le tiret est un peu pompeuse) est une vraie réussite de ce point de vue-là, dans cet alliage d'originalité et d'héritage cinématographique, de montré et de suggéré, de réalité et de son altération. Ça ressemble à une fugue, une mère qui fuit le domicile, sa famille, son mari, ses enfants, ça commence comme le portrait d'une femme déséquilibrée sans qu'on puisse doser l'amplitude de ce déséquilibre, et puis on s'embarque sur d'autres rails soudainement, lorsqu'on accède à la réalité de sa déstabilisation.
Le montage fragmenté parvient à induire une incertitude particulièrement féconde, qui fait qu'on ne sait plus dans quel espace on se situe, le réel, le souvenir, ou l'imaginaire. Et cette sensation de perte de repère n'est à aucun moment désagréable, ce qui en fait toute la singularité, et tout l'intérêt pour moi. Ce n'est pas un film à puzzle où il faut recoller les bouts, c'est plus un film de dissonances et de chancellements, et in fine un détournement de catastrophe traumatique. La douleur qui frappe la femme comme un tourbillon étourdissant, avec ses surimpressions sonores de voix intérieures, traduit un chagrin vertigineux. À mesure que le voile de tristesse se précise, tout l'imaginaire familial d'un quotidien fantasmé explose à la gueule, avec son lot de projections intérieures peuplées d'absents. Le geste d'Amalric finit par imposer des questions répétitives (souvenir ou invention ?), mais la poésie mélancolique qui s'en dégage est, de temps en temps, bouleversante.
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