Meurtre, prostitution, inceste, racisme, homophobie, misère, Gaspar Noé se fiche de la morale, la sienne est tranchante comme le hachoir d'un boucher. C'est d'ailleurs autour de la question de cette morale que débute Seul contre tous, premier long-métrage de Gaspar Noé qui fait suite à Carne, moyen-métrage racontant l'histoire d'un boucher (Philippe Nahon) envoyé en prison pour avoir poignardé un ouvrier croyant à tord que celui-ci avait violé sa fille. Dans Seul contre tous on retrouve le boucher ayant purgé sa peine de prison et recommençant sa vie dans le nord de la France.
Abats de la société
Il a fallu 5 ans à Gaspar Noé pour réunir les fonds nécessaires pour produire son film, le projet ayant été refusé par toutes les chaînes de télévision. Il l'a donc produit par sa propre maison de production, Les Cinémas de la Zone. Et c'est justement dans la zone que se passe son film. Une province miséreuse dans lequel il tente de survivre en cherchant un emploi en attendant que sa femme engrossée ne lui paye un bail pour qu'il puisse redevenir boucher. Mais dans un accès de colère il transforme le fœtus en steak haché et s'enfuit vers la capitale. Le personnage, peu bavard, partage ses pensées par la voix-off ce qui lui permet de s'exprimer sans aucune censure. On s'attache ainsi plus facilement au boucher malgré ses opinions extrêmes. Mais il n'est que le reflet d'une société française malade, la caricature du français des bas niveaux tel que le voit Gaspar Noé, pauvre, raciste, égoïste, mais livré à lui même. Pas de place pour la fraternité dans ces quartiers, le boucher s'en rend vite compte en cherchant de l'argent, chacun pour sa peau, le français est seul contre tous. Pareil pour l'égalité, comme le dit l'homme à la morale meurtrière, les riches ont toujours raison et c'est les pauvres qui trinquent.
Vision tranchante de la France
À l'image des gens qu'il montre, Gaspar Noé ne disposait que d'un faible budget pour tourner son film. Il fait donc avec les moyens dont il dispose mais cela ne l'arrête pas. L'image n'est pas de très bonne qualité mais elle ne fait qu'augmenter le réalisme du film. Peu de budget non plus dans le décor qui est celui de la banlieue parisienne, un hôtel qui n'a pas bougé en 15 ans, un troquet minable et les rues parisiennes constituent les principaux décors. On remarque aussi le montage, tranché au hachoir dont les coups résonnent tout le long du film, en rythme avec une musique martiale. Le mérite du film repose également sur les épaules de Philippe Nahon, parfait dans le rôle du boucher à l'allure antipathique.
Seul contre tous est sans doute l'un des films les plus subversif du cinéma français. Les scènes dérangeantes en font un film difficile d'accès et souvent un moment désagréable. Mais c'est justement en choquant intensément le spectateur que le film l'incite à réfléchir sur l'état actuel de la société qui a malheureusement peu évolué depuis 1980.