Troisième long-métrage de l’acteur et réalisateur Vincent Perez, « Seul dans Berlin » (2016), adapté du roman (1947) de Hans Fallada (1893-1947), souffre d’un défaut majeur, irréductible : film d’un réalisateur français censé se dérouler en Allemagne, il est tourné en anglais, avec des acteurs majoritairement britanniques et quelques Allemands parfaitement anglophones... Une distorsion due aux difficultés de production rencontrées par le réalisateur après la mort de Jorge Semprún, avec lequel il avait entrepris l’élaboration du scénario. Fait, donc, en quelque sorte indépendant de la volonté du réalisateur, mais qui nuit, d’emblée et durablement, à cette adaptation...
C’est d’autant plus regrettable que, sans cet écart entre ce que l’œil perçoit (la vie urbaine durant le Troisième Reich parfaitement reconstituée, dans des gris et bleus qui semblent participer à l’affliction générale) et ce que l’oreille entend (un anglais très légèrement mâtiné d’accent germanique, pour rendre la chose plus probable !...), le film ne manque pas de qualités, s’attachant à reconstituer le parcours des époux Otto et Elise Hampel, Otto et Anna Quangel, pour la fiction, couple incarné par les stars Emma Thompson et Brendan Gleeson.
Après avoir appris la mort, au front, de leur fils soldat, ces citoyens berlinois, jusqu’alors embrigadés dans l’idéologie nazie, avaient entrepris de disséminer dans tout Berlin, dans les lieux publics les plus divers, des cartes postales au dos desquelles Otto avait inscrit une propagande anti-nazie intarissable, constamment renouvelée. Presque trois cents cartes avaient ainsi été diffusées, seules dix-huit d’entre elles n’ayant pas été docilement rapportées à la police du régime hitlérien. Le film s’emploie à rendre compte de cette activité, au cœur d’un climat puissamment antisémite, prenant appui sur la délation et la crainte, pour ne pas dire la terreur. Le travail de reconstitution, la composition de la photo sont exemplaires, accompagnant un cheminement vers une chute que l’on sait inévitable.
Nouvel et salutaire hommage aux citoyens qui, au cœur du système nazi, ont eu suffisamment de courage, de colère, et d’espoir sous le désespoir, pour s’opposer à lui. On songe à Sophie Scholl et au beau film qui saluait également sa mémoire, au groupe « La Rose Blanche », et à tous ceux, entre vingt et trente mille qui, loin des camps, tombèrent sous le tranchant des guillotines nazies... Tant il est sinistrement vrai que le Troisième Reich offrit à l’invention du Docteur Guillotin, outre-Rhin, une extension temporaire et inespérée, restée discrète, quoique massive...