Outre cette liberté qu'on lui connaît déjà, relevant parfois du numéro d'équilibriste, Hong Sang-soo surprend grâce à quelques scènes enlevées. De même, si son actrice fétiche et compagne derrière les caméras, Kim Min-hee, en fait parfois volontairement trop, elle dégage une aisance étonnante et une aura qui illumine le film. En revanche, l'impression de vide assez récurrente chez le cinéaste lasse et devient vite contagieuse, le spectateur se sentant à certains endroits envahi par le néant que la lenteur de la caméra et la rareté du mouvement n'aident pas.
L'alcool (la deuxième compagne de Hong Sang-soo) sert de pretexte à Kim Min-hee (Young-Hee dans le film) pour afficher un jeu déluré, instable, alternant entre euphorie et colère provoquées par l'ivresse. Bien que cela sonne trop faux, surjoué, presque parodique, ces soudaines sautes d'humeur ont dû influencer positivement le jury de Berlin qui lui a décerné le prix de la meilleure actrice. A moins que ce ne soit grâce aux scènes plutôt creuses que, paradoxalement, elle emplit de sa séduisante présence, à travers un jeu fluide, naturel, peuplé de caprices, d'espiègleries et d'une sournoise sensualité.
Derrière sa prétendue mélancolie, se cache chez la belle Young-Hee un sentiment romantique de solitude (elle qui apparaît souvent à l'écart des autres, en conflit avec leur vision du monde), solitude qu'hante un mystérieux fantôme, homme inconnu qui traverse spectralement certaines scènes, symbole de l'absence et dans son invisibilité presque fantastique allégorie de l'Amour. C'est en effet ce que laisse entendre Young-Hee dans un des dialogues sur l'amour où se déchaîne sa haine des autres, surtout des hommes. Certes de nombreux clichés sont véhiculés dans le film; néanmoins certaines scènes sont réussies, surtout quand les acteurs coréens sont réunis à table et qu'ils se livrent à de belles réflexions sur l'amour ou la littérature au détour d'un poème ou d'une envolée lyrique.
Voilà les originalités de ce film qui, à part ça, ressert les mêmes thèmes de prédilection: mise en abîme du cinéma (tournage, acteurs, équipe de tournage, ...), scènes de beuveries dans des intérieurs, amours incomprises. Hong Sang-soo reprend également ses gros plans feignant l'amateurisme, toujours aussi répulsifs, et n'améliore guère son image, comme à l'accoutumée plutôt peu soignée. Par ailleurs, la grande impression de vide qui émane de certaines scènes, dont l'utilité narrative peut être remise en question, jongle entre le je-m'en-foutisme formel, la volonté de créer une ambiance en symbiose avec les états d'âmes de Young-Hee et un louche rapprochement esthétique avec le théâtre de l'absurde (surtout au début). Ce dernier point se vérifie dans les dialogues (comiques par leur décalage), rappelant La Cantatrice Chauve, entre les deux amies qui, en Allemagne, font l'éloge de paysages grisâtres sans beauté, de saucisses ou des pâtes fait maison.
Comme une manière pour Hong Sang-soo de faire dire à son personnage et jeune amante: "Ne cherche pas ton bonheur ailleurs. Regarde, je suis ici, quoique invisible".