/!\ Attention, cette critique divulgâche quelques éléments clé du film /!\

Il y a bien une quinzaine d'années, à une époque où je "consommais" moins de film qu'aujourd'hui, j'avais découvert, un peu par hasard, Harry, un ami qui vous veut du bien. Comme beaucoup, le film m'avait fait forte impression, ayant été marqué par la prestation du très sous-estimé Sergi Lopez. Forcément, quand je suis tombé sur le pitch de Seules les Bêtes, que j'ai su qui l'avait réalisé, et qui jouaient dedans (Damien Bonnard et surtout Denis Ménochet), j'ai immédiatement voulu visionner le film… Aïe !

Adaptation du roman du même nom, Seules les bêtes s'inspire en partie, au niveau de sa structure, du rashomon effect, un procédé "classique, mais efficace" qui fonctionne donc plutôt bien malgré les quelques tares plus ou moins habituelles. Mis à part pour l'ignorante Alice (Laure Calamy), le film a par tendance à nous présenter la plupart de ses personnages comme suspicieux... choix classique, me direz-vous, mais qui ne change rien au fait que l'on devine très vite qui est le tueur. Les coupables tout désignés étant soit Joseph (Damien Bonnard) soit Michel (Denis Ménochet), notre regard se porte tout naturellement sur le second une fois que le premier est exclu de la course. À la limite, ceci n'est pas vraiment un problème, ce n'est pas parce qu'on connaît la véritable identité de tel ou tel personnage, que l'on devine qui est le tueur dans un film, que le tout devient mauvais de facto: Usual Suspect étant l'exemple le plus probant à ce sujet.


Non, l'un des problèmes vient du fait, encore une fois, que le film tente de nous faire passer une bonne partie de ses personnages comme suspicieux. Par exemple, une vieille qu'on voit seulement cinq minutes (en vrai elle s'appelle Madame Calvet et est interprétée par Jenny Bellay) affirme à Alice qu'elle ne risque rien du moment qu'elle aime son mari et que son mari l'aime en retour, contrairement à la femme disparue, Évelyne (Valéria Bruni-Tedeschi). Le coupable serait-il le mari de la disparue ? Bien sûr que non, on ne le voit d'ailleurs qu'une dizaine de secondes durant tout le film, mais l'important est de faire croire au spectateur que ça pourrait être le cas. Autre exemple, Damien Bonnard, qui trouve le cadavre d’Évelyne, le conserve durant un moment dans un coin et s'en occupe comme si c'était quelqu'un qui dormait. Pourquoi ? On nous indique qu'il n'aurait averti personne lors du décès de sa mère et qu'il aurait laissé pourrir le cadavre au lieu de faire quoi que ce soit. Alors ok, on comprend que le personnage est déprimé, mais ç'aurait pu être amené plus subtilement non ? En plus, il se suicide à la fin de son arc au cas où on serait trop con pour comprendre. Surtout que, vu qu'il n'y a que cette théorie qui est présentée, on la croit par défaut, sans réfléchir aux autres hypothèses possibles. Pour le coup, son arc aurait mérité d'être bien plus étoffé, de gagner en consistance plutôt que de nous faire comprendre, de 1001 façons différentes, que le personnage est déprimé. On se doute que cet élément provient du roman, mais on se doute aussi que ce médium apporte un poil plus de contexte à cela. Du coup, cela donne surtout l'impression que Joseph est déprimé, voir fou, comme s'il fallait faire en sorte qu'il ne soit pas totalement exclu de la liste des tueurs.


Mais le plus gros problème du film, c'est son immense côté fusil de Tchekhov. Ça en devient tellement grossier que je pense même qu'on pourrait inventer un nouveau terme pour ce long-métrage : l'artillerie de Tchekhov. L'intégralité des comportements ou des réactions des personnages qui paraissent un minimum étrange sont expliqués plus tard, au cas où le spectateur serait trop con pour comprendre par lui-même. Pourquoi Damien Bonnard parait complètement déconnecté au début du film ? Comment son chien est mort ? Pourquoi Denis Ménochet s'énerve au téléphone avant de partir subitement ? Tout ceci (et encore, là, je n'ai pris que des éléments présents durant les 15 premières minutes du film) est, comme je viens de l'indiquer, forcément expliqué tôt ou tard durant le long-métrage. À aucun moment on ne laisse le spectateur interpréter ce qu'il voit, se faire sa propre idée. C'est encore pire que dans un film d'Olivier Marchal, c'est dire le niveau. D'ailleurs, je disais plus haut que le film adoptait une structure proche de celle de "l'effet Rashomon", mais ce n'est pas si vrai que ça ; le long adoptant en réalité une structure bien plus simpliste dans laquelle un cheminement bien précis en ressort, où rien n'est sujet à l'interprétation.


Enfin, reste la fin du film, le plongeant dans le registre du nanard. Tenez-vous bien ! Dans un premier temps, Denis Ménochet apprend qu'il s'est fait avoir par un brouteur, part à Abidjan pour le retrouver, le retrouve, mais le laisse s'enfuir alors qu'il est en train de l'étranger, puis le brouteur reprend contact avec lui sous sa fausse identité et Denis Ménochet fait comme si de rien n'était (on comprend qu'il agit de cette manière car il manque d'amour, mais la façon de présenter la scène la rend ridicule). Mais là encore, c'est gentillet puisqu'on apprend ensuite que la femme que convoitait Armand (Guy Roger 'Bibisse' N'Drin), le brouteur, qui sortait avec "un blanc", sortait en réalité avec Guillaume, qui, je vous le donne en mille, était le mari d’Évelyne, la femme assassinée. Diantre ! Que le monde est petit ! Franchement, je ne sais pas si j'adore ou déteste cette fin tant ça part n'importe où, n'importe comment.

N'ayant pas lu le livre, impossible d'établir une comparaison entre les deux œuvres, mais vu le piètre niveau scénaristique du film, donnant l'impression d'assister à un épisode de Dallas écrit par un lycéen, j'ose espérer que l'original est bien mieux écrit.


Bien sûr, tout n'est pas à jeter dans l'œuvre dont il est question. Elle parle d'amour, et plus précisément du manque d'amour. Alice n'éprouve plus rien pour son mari qui n'éprouve plus rien pour elle non plus ; Joseph est seul, complètement vide, dépressif et solitaire (sans doute le personnage qui me parle le plus) ; Marion (Nadia Tereszkiewicz) a beaucoup trop d'amour à donner pour une personne qui préférerait que leur relation se termine ; Michel en est au point où il devient complètement amoureux d'une personne qui n'existe pas ; enfin, Armand n'aura jamais la femme qu'il aime. Sans aucun doute, le point le plus réussi du long-métrage, dommage que le reste du scénario ne suive pas.

Ce qui est encore plus dommage, c'est que le film s'avère être vraiment bons concernant d'autres de ses points.

Évidement, au niveau des acteurs, il n'y a pratiquement rien à leur reprocher. Comme à son habitude, Denis Ménochet est immense (que ce soit au sens propre ou figuré). Une bonne partie de ses scènes se contentent de le filmer en train de chatter avec un brouteur et pourtant, il joue parfaitement bien le rôle du "poisson" en train de se faire voler tout son argent. Idem pour Damien Bonnard, que je connais depuis bien moins longtemps, mais qui ne m'a jamais déçu jusqu'à présent : rien à dire au niveau de son jeu, de son interprétation du fermier qui parait complètement paumé. Je connais bien moins les trois autres actrices du film : Valéria Bruni-Tedeschi, Nadia Tereszkiewicz et Laure Calamy ; mais là encore, il n'y a rien à leur reprocher au niveau de l'interprétation. Même Guy Roger N'Drin, qui était un véritable brouteur avant de tourner dans le film, se débrouille bien.

Je suis aussi tombé sous le charme des décors, on passe du soleil d'Abidjan à une tempête de neige dans le causse Méjean, des lieux assez inexploités au cinéma. Ce dernier étant d'ailleurs un choix parfait, donnant l'impression d'emprisonner les personnages.

Enfin, le film possède tout de même quelques bonnes idées au niveau de sa réalisation. Le long s'ouvrant par exemple sur le cri d'une chèvre, qui risque bien d'être sacrifiée, comme si le meurtre était commis pile au moment de l'ouverture.

Bref, pour toutes ces qualités, j'aurais du mal à dire que Seules les bêtes est vraiment un mauvais film... mais de là à dire qu'il est bon, franchement…

À croire que derrière ce titre se cache en réalité quelque chose de prophétique quant au public qui l'appréciera.

Créée

le 19 juil. 2022

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MacCAM

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