Il ne faut évidemment rien révéler de l’intrigue du dernier film de Dominik Moll, assez discret depuis son estimé Harry... il y a 20 ans. On se contentera de ce que la bande-annonce offrait, à savoir un pitch on ne peut plus convenu autour de la disparition d’une femme sur les Causses, la rudesse hivernale et le monde taiseux des paysans d’une France qu’on a du mal à croire qu’elle puisse encore exister – et subsister.
La galerie de personnages présentée initialement offre ce que le cinéma français a de meilleur, combinant le magnétisme des présence (Ménochet, évidemment, mais aussi Damien Bonnard qu’on retrouve dans un environnement qu’il habitait déjà de manière bien singulière dans Rester Vertical, et Laure Calamy, décidément intense dans tous les registres) et l’opacité du mutisme.
Car l’exposition se fait surtout sur le mode de l’obscurité croissante : à mesure que les séquences s’enchaînent, les événements s’accumulent comme des pièces non conjointes d’un puzzle qui prend des dimensions vertigineuses, que ce soit dans l’espace (Abidjan s’invitant dans l’intrigue) ou le temps, à la faveur de flash-back incessants qui proposent une nouvelle convergence vers un présent qui s’épaissit en un nœud inextricable.
La virtuosité du récit (une même séquence étant donc vécue de plusieurs points de vue) dépasse le simple plaisir d’une intrigue policière pour se concentrer sur des personnages face aux abîmes de leurs passions. La relation charnelle d’une femme avec un homme qui n’a rien à lui offrir d’autre que la rudesse de ses mains, l’irrationnelle passion d’un mari pour une identité électronique qui lui fait tourner la tête en dépit du bon sens, la possession d’une jeune fille pour une conquête qui prend peur, l’attachement d’un solitaire à une compagne aussi mutique que lui dessinent une cohorte de cœurs avides d’amour, et davantage touchants qu’effrayants.
Autant d’éléments qui permettent l’émergence d’un autre genre, dont il faudra taire le nom ici. Si l’on peut un temps considérer que cet axe, à mettre sous l’égide de la déclaration « le hasard est plus grand que toi » est un grand facilitateur d’écriture, on aurait tort de n’y voir qu’une béquille scénaristique. Car la résolution importe moins que les béances sur lesquelles échouent de nombreuses thématiques du récit. De la misère affective des individus à la rage d’un pays prêt à « rembourser la dette coloniale », de l’effrayante solitude à la nécessité presque pathologique de devoir mentir à l’autre pour satisfaire un désir qu’on croit authentique, Seules les bêtes présente, par des détours labyrinthiques, les corridors retors des passions humaines sous le regard de paysages immuables et indifférents.
(7.5/10)