Un vrai plaisir de découvrir Shaft aujourd'hui, en ayant toutefois déjà apprécié les qualités du remake, largement plus politiquement correct que ce petit brûlot faisant contrepoids à l'inspecteur Harry dans une catégorie de polard bien trempé alors en vogue. Personnage haut en couleurs, Shat est un noir afro-américain particulièrement impertinent devant la police blanche, qui lui laisse toutefois la bride lâche car étant noir dans Harlem et fricotant avec tous les pontes officiels et officieux, il bouffe à tous les râteliers (et possède toujours de croustillantes informations). Les prétextes sont bien choisis, et c'est la toile de fond qui immerge complètement le spectateur, qui se retrouve dans un Harlem tenu par des gangs noirs, en friction avec les autres mafias, pendant que la police gouvernementale (ou la police des blancs, assimilation totale à la couleur) tente de comprendre et de maîtriser la situation. Contexte explosif et donc fréquemment violent, dans lequel Shaft interprète un électron libre, régulièrement au mauvais endroit quand il traite une affaire, et toujours badass quand il s'agit de réagir.


Pas de réel message à tirer du film, qui assume à 100% sa fonction de divertissement burné et coloré, mais une certaine honnêteté dans la mise en scène du contexte, particulièrement communautaire ici (le racisme est assimilé et fait régulièrement partie de l'équation), et envoyant régulièrement péter notre politiquement correct moderne ("pédé de blanc !"). Si le contexte dépayse, le traitement fait preuve d'un indéniable savoir-faire dans la gestion des enjeux, la mise en place du suspense (on passe du polar au film noir sans arrêt) et dans quelques envolées esthétiques qui auront largement de quoi séduire (une splendide scène d'amour qui se fond sur les éclairages et la transparence, de quoi se rincer l'oeil sans devenir impudique). Rythmé et plutôt bien emballé, ce premier Shaft pose d'excellentes bases avec un univers potentiellement complexe et proche de sa réalité communautaire, qu'il embellit un peu pour soigner son image de minorité tolérante (via un rapprochement avec un homosexuel blanc patron de bar), que l'on sait beaucoup plus rude dans la réalité (dur constat sur le vivre ensemble que le film esquisse plus ou moins, selon ses humeurs). Le traitement des femmes est probablement ce qui serait le plus critiquable aujourd'hui, la plupart des conquêtes féminines se laissant succomber (avec l'aide du scénario) au charisme animal de Shaft, avec la certaine amoralité du héros qui s'affirme quand il accepte d'entrer dans la guerre pour de l'argent. Toutefois, l'objectif du film est clair et n'a jamais été caché, offrir un héros noir haut en couleur, et donc à fond dans la revendication et l'affirmation de soit. L'intégration, c'est bon pour les descendants d'esclaves, les lâches et les politiciens, place à la virilité (et donc un peu d'illégalité pour faire grimper les enjeux) !


Reste Shaft, le mâle représentant d'une communauté noire fière et prompt à la réponse forte, entretenant l’ambiguïté de ses relations (sa possible appartenance aux Black Panthers), enchaînant les conquêtes féminines (y compris les blanches) et doté d'une roublardise qui lui donnent une belle longueur d'avance dans ses enquêtes. Efficace sans devenir un surhomme d'ébène, Shaft assure le divertissement et se dynamise avec un contexte social fort qui prolonge l'intérêt au delà de l'intrigue, et inscrit le film au rayon des classiques du polar qu'il faut avoir vu au rayon du cinéma vintage. On retiendra l'aura du projet, mais pas grand chose d'autre (alors que l'inspecteur Harry marquera durablement pour son propos sécuritaire bien troussé).

Voracinéphile
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le 23 mars 2018

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