Western passablement oublié de nos jours, Shalako sort du lot des films de gardiens de vaches au colt facile. C'est une curiosité relativement bien représentée par son duo vedette Connery-Bardot, un duo improbable dans un film qui l'est non moins, pour peu que l'on se penche sur ses spécificités.
Un western bondien
Il suffit d'observer les noms figurant au cast et au crew pour s'apercevoir combien Shalako est un western traité à la sauce bondienne.
A commencer par son réalisateur, Edward Dmytryk, réalisateur de plusieurs aventures d'espionnage du Lone Wolf, sorte de Simon Templar en plus espion. Mais aussi son directeur de la photographie, Ted Moore, qui totalise 7 James Bond à son actif !
A l'image de Stephen Boyd, qui fut pressenti par Terence Young pour jouer le rôle de 007 et qui alterna les péplums (La Chute de l'Empire Romain, Ben-Hur), les westerns (La Charge des diables, Les Colts au soleil) et les films d'espionnage (Division K, Opération Opium).
Puis, vient le Sean Connery & Cie, l'acteur écossais étant entouré de vedettes avec lesquelles il a déjà tourné des aventures de James Bond: Honor Blackman, qui aime décidément faire ça dans le foin (Goldfinger, Chapeau Melon et Bottes de Cuir) et Alexander Knox (On ne vit que deux fois, La Femme de paille).
Sean Connery, certes étrange en cow-boy mal rasé aux manières rudes, qui ne sont pas sans montrer l'écart entre son James Bond et celui de Daniel Craig, n'est pas dépaysé dans les plaines du Far-West. Il peut compter sur sa doublure de James Bond, celui qui ne fait presque qu'un avec lui sur tous ses rôles de jeunes premiers, Monsieur Bob Simmons, autre grand nom de la saga Bond.
Ce qui amène inévitablement à comparer Shalako à Au Service Secret de Sa Majesté. L'existence de l'un ayant un impact sur la réalisation de l'autre.
Le sixième James Bond devait en effet mettre en scène Sean Connery dans le rôle de 007 et Brigitte Bardot dans celui de la Comtesse Tracy Di Vicenzo. Sans doute aurait-il également bénéficié de la participation de Ted Moore et de Bob Simmons.
C'est donc à l'aune de ce film que Shalako, qui nous a dérobé un casting prestigieux mais nous en a permis un autre - Diana Rigg et Telly Savalas , doit être mesuré. Et c'est là que le bât blesse. Car l'alliance des talents présente sur Shalako ne suffit pas à reproduire la maestria d'un James Bond de l'époque et nous prive d'un tel nouveau film de la EON pour offrir un film bon, certes, mais de qualité moindre.
BB au pays des chasseurs
Passé l'étonnement fugitif d'un western aux accents bondiens, c'est à dire passé le générique qui nous indique les noms de l'équipe et qui propose une chanson de western répondant aux codes d'une chanson de générique bondien, une autre curiosité attend le spectateur.
On assiste presque aussitôt à une sorte de chasse à courre au puma. La pauvre bête, qui tient plus du chat que du fauve, grogne, impuissante, en proie à des plans rapprochés d'hommes grimaçant et de mains jouant au tambour avec un pistolet et une menue casserole de fer. Très bien filmée, anxiogène, cette scène a un dénouement surprenant !
Nous sommes en 1968 de l'autre côté de l'écran et cela fait bien six ans que Brigitte Bardot mène une lutte sans merci pour la défense des animaux. Quelle surprise de voir sur l'écran la pauvre bête se faire tirer dessus à bout portant par ... Brigitte Bardot ! Ou pour mieux dire, son personnage ! Une curiosité que la belle blonde cherche sans doute à oublier aujourd'hui ou une illustration brillante de ce contre quoi elle se bat.
Car elle se bat, la bougresse ! On est au Far-West, bien loin du pays de Et Dieu créa la femme !
Mise à mal, l'image de la femme potiche souvent fallacieusement attribuée aux héroïnes des sixties explose littéralement devant notre BB nationale qui semble plus impulsive et même plus courageuse que le personnage masculin éponyme, un Sean Connery solitaire, avisé, affectionnant la fuite, la cachette et les ruses. BB se promène presque toujours fusil au poing, créant la stupeur parmi ses compagnons de route, qui la voient tirer aussi bien que Lucky Luke et chercher l'aventure là où nul n'ose s'aventurer.
Une BB femme forte en deux exemples:
- un personnage masculin confesse qu'il pourrait se sentir rassuré face à une armée d'indiens s'il ne restait qu'elle à son côté, armée d'un fusil.
- un échange entre Shalako et Irina:
- Et si je prenais par la force ce dont j'ai envie ?
- Je vous tuerais !
- Au moins, je mourrais heureux !
Un western horrifique ?
Par horrifique, on entend la catégorie généralisée par simplification des films d'horreur et des films d'épouvante. Et force est de constater que Shalako tire ses points forts et ses points faibles de ce genre: il a la simplicité et l'originalité d'un film horrifique.
Cette simplicité des films horrifiques qui refuse toute logique d'instinct de survie à ses protagonistes. Ce ne sont certes pas des jeunes adultes qui décident d'aller dans une cabane au fond des bois et dans une maison hantée avant de s'y séparer pour s'affaiblir face à un esprit mauvais ou un tueur. Mais on n'en est pas loin. Jugez plutôt par le scénario: Un petit groupe de cow-boy aristocrates et leurs quelques domestiques partent en vacances dans une réserve indienne pour chasser et se livrer au marivaudage. Là-dessus, arrivent les apaches propriétaires du terrain qui en veulent à leur scalp mais qui, raisonnés par le cow-boy Shalako, acceptent de les laisser partir. Mais, même très conscients du danger, nos aristocrates et leurs pécores décident de rester et de braver l'armée furieuse et nombreuse des sauvages. Lorsque ces derniers passent à l'attaque et laisse leur "bastion" en ruines et en flammes, le groupe se scinde: les gardes du corps se changent en pillards et s'enfuient avec l'ensemble des vivres. Les deux factions se retrouvent divisées, en effectif encore plus faible, face à un adversaire qui est légion. N'est-ce pas que l'on croirait un scénario de slasher avec des cow-boys et des indiens ? Ajoutez à cela Honor Blackman, pourtant connue pour ses rôles de femmes fortes, en demoiselle en détresse doublée d'une nymphomane versatile, qui a la désagréable habitude de crier face au danger et il vous semble plus encore vrai que bien des clichés simplistes du film horrifique se conjuguent dans le western Shalako.
Ce ne serait pourtant pas lui rendre justice que de ne voir que ces fils blancs, ces stéréotypes, et de faire totale abstraction de son originalité. Une originalité que, là aussi, Shalako tire des films horrifiques. En particulier dans ses scènes de mise à mort. Que ce soit celles du puma, déjà narrée, ou celles des chiens de garde, qu'on égorge. Mais aussi celles des hommes que l'on tue. La première victime parmi les cow-boy n'est-elle pas piégée à la façon d'une victime de Saw ? Prise dans un mécanisme cruel et pointu, elle déclarera avant de mourir être déjà morte. Plus frappante encore, la scène de torture et de meurtre du personnage d'Honor Blackman
qui doit avaler du sable, que l'on effeuille en la bousculant d'un indien à l'autre, avant de l'étouffer en lui faisant avaler sa propre rivière de diamants !
Ainsi le western juxtapose bonnes trouvailles et quelques longueurs. Il faut tolérer les dernières pour ne pas manquer les premières. La fin a l'abrupt de nombreux films de cette époque et fera un ultime mais discret clin d'oeil aux finals de James Bond des sixties aux nineties.
Un étrange western mais un film tout à fait agréable qui mérite qu'on lui donne sa chance.