Ce qui est une "Shame", c'est de ne pas l'avoir vu.

(En 2010, à la sortie du film, je faisais partie de ceux qui se disaient "Un film sur l'addiction sexuelle? Histoire de pervers sans intérêt." Aujourd'hui, après avoir visionné ce film, je me suis sentie forcée d'assumer mon erreur & de faire mon mea culpa.)

Shame : une bombe datant de 2010, des notations excellentes mais un sujet qui a rétracté d'office de nombreux spectateurs. Gênant, intriguant ou choquant, "Shame" ose ce que bien d'autres ont symbolisé dans leurs films sans en parler ouvertement. L'addiction sexuel est un sujet tabou dans la société et les arts n'échappent pas au respect des bonnes mœurs que cette dernière impose. "Shame" a d'abord été vu comme un film érotique esthétisé avant d'être considéré comme une œuvre à part entière. L'histoire est celle de Brandon, un bel homme d'apparence stable (un travail très rentable, un loyer) mais à l'intérieur tourmenté: une journée sans sexe n'est pas envisageable pour ce personnage dont la seule dépendance est le besoin sexuel. Oui, Steve McQueen évoque le sujet comme une maladie, comme un besoin vital qui peut nuire à la personne si celui-ci n'est pas assouvi. Brandon est lui-même conscient de son addiction qu'il cache en la niant devant autrui sachant qu'il serait incompris, jugé répugnant par la société. On ne sait pas d'où provient cette dépendance: un traumatisme durant son enfance (ses parents sont morts), son amour réprimé pour sa sœur (son seul parent), un refoulement sexuel (envisageable grâce la scène homosexuelle) ou des abus divers. Le seul indice du film sera apporté par sa sœur Sissy, tout aussi perdue que son frère et suicidaire: "C'est pas nous qui sommes mauvais, c'est l'endroit d'où l'on vient."

Steve McQueen nous offre, une nouvelle fois, un film intelligent portant sur des sujets peu habituels, rarement exploités. Brandon est incarné par l'époustouflant Michael Fassbender qui joue également dans "12 Years a slave" & "Hunger" du même réalisateur. Fassbender se détache du stéréotype du "pervers" pour incarner cet obsédé sexuel sans avoir le besoin d'ajouter des touches de vulgarité. Avec sa prestance & sa carrure de Don Juan, Michael Fassbender offre une nouvelle image de l'addiction sexuel. Concernant Carey Mulligan, sa filmographie prend un tournant & diffère de ses précédents rôles candides ("Gatsby Le Magnifique", "Drive", "Never Let Me Go" ou encore "Une éducation"). On retrouve l'actrice à travers Sissy, une femme plus mûre arborant une personnalité bien définie. Transpirants d'émotivité, les rôles de Carey Mulligan & Michael Fassbender, mystérieux et bluffants jusqu'au bout, nous amènent à la compassion. L'union du frère essayant de ramener sa sœur à la vie dans cette mare de sang est d'ailleurs l'une des scènes les plus marquantes de ce film.

Mention spéciale à la magnifique bande sonore qui rythme ce film pour nous montrer la tragédie et la nécessité de prendre au sérieux cette histoire bien singulière. Durant les scènes de sexe, la musique reste étrangement mélancolique. Unique témoignage de la douleur intérieure de Brandon qui sait bien qu'il ne sera jamais pleinement satisfaits et devra recommencer indéfiniment ses actes répréhensibles. La scène la plus crue, l'orgie finale, est impressionnante de sensibilité: les sceptiques réticence dissipés. plus de dégouts: compassion. Un court instant, Steve McQueen nous prend même à parti dans cette scène. En effet, durant l'acte sexuel, le regard de l'acteur s'arrête sur la caméra et nous regarde, nous remet en question. Nous-même, en quelque sorte voyeurs de cette décadence, sommes interrogés par le personnage. Droit dans les yeux, Brandon nous questionne sur les mœurs. Est-il vraiment un homme mauvais ? Pourquoi regardons-nous jusqu'au bout ce film si cela est réellement immoral ? De tout temps, l'homme est un être en proie à ses pulsions et dirigé par ses passions. Finalement, où s'arrête le bien & où commence le mal? Honteux de lui-même, Brandon détourne son regard pour fixer le vide et vient la jouissance, un mélange de larmes et de cris de rages où le plaisir est absent au profit du soulagement d'un démon intérieur.

Ce film ne se veut pas thérapeutique pour les personnes souffrant de symptômes similaires. Steve McQueen n'apporte d'ailleurs aucune réponse à son mal-être. La séquence finale avec la femme le séduisant du regard nous laisse dans le flou: va t-il lui céder, elle qui l'invite à la rejoindre? Outre, cette question, immanente au scénario, le réalisateur symbolise une interrogation généraliste: L'homme est-il capable de se séparer d'une addiction ou est-il poussé par ses pulsions à la poursuivre (symbolique de la femme dans le plan final) ?
Petit bijou cinématographique avec un scénario original et merveilleusement interprété, "Shame" engendre une onde de choc par son provocant détachement aux règles de la bienséance. La "Honte" c'est de négliger ce film, de le stéréotyper pour mieux le dénigrer avant même de l'avoir visionné. La "Honte" c'est tout simplement de ne pas l'avoir encore vu.

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le 18 nov. 2014

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Élodie Falco

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