J'entends le voir une quatrième fois histoire de (j'ai pas dit histoire d'O)
Le film est sublime plastiquement (la photo est ahurissante de beauté) et sur le fond, il est boulversant : la faune de New-York y est aussi bien capturée que chez DeLilloou Bret Easton Ellis . Se souvenir de cette incroyable et magnétique scène du métro ,de la chair filmée magnifiquement et comme rarement (à deux, à trois, un ballet charnel, un festival de peaux véritable sans que jamais ça ne vire à la démonstration vaine et voyeuriste ou au porno léché).
Les acteurs affolants de vérité et d'émotion (Fassbender au sommet on a beaucoup glosé sur son corps - effroyable de sensualité- montré sous tous les angles, mais c'est surtout son visage qui interpelle la rétine, celui-ci est une terrifiante palette émotionnelle (dans les scènes les plus crues c'est fascinant à observer la mécanique charnelle et le contraste saisissant de ses expressions qui donnent tout l'ampleur au titre du film 'Shame').
Carey Mulligan a un rôle ultra casse-gueule et s'en sort pourtant diablement bien qu'enlaidie et à nu (au propre comme au figuré). Son alchimie avec Fassbender est détonnante. Devant ce roc imperturbable, elle est une force brute d'émotion et puis que dire des seconds rôles qui sont tout sauf accessoires.
Peu de dialogues au final, tout passe dans l'image, dans cette bande son d'une intensité absolue, dans les regards, dans les non-dits, dans la répétition aussi, dans une routine surlignée, certes, mais qui est tout sauf anodine, dans un morceau de Sinatra dépoilé, ralenti et épuré jusqu'à la moelle dans la bouche de Carrey-Sissy-Mulligan mais aussi dans les yeux de Brandon-Michael Fassbender.
J'ai songé à DeLillo donc (et Cosmopolis pourv ce cynisme implacable du héros et son regard sur New-York, sa sexualité étant autrement plus 'heureuse' ) mais également à un bouquin que je vénère 'Le Démon' d'Hubert Selby Jr, et à Brando dans le Last Tango de Bertollucci que Mc Queen a montré aux acteurs la veille du tournage...
Ce film n'est pas too much ou creux ou léché, il est une magnifique photo glaçante (et pas glacée ou glaciale) de l'époque décimée par un trop plein consuméristes qui cotoie le néant affectif sous des apparences chiadées de bonheur, C'est aussi, surtout? un film sur la famille aussi sans doute plus que l'addiction sexuelle qui n'est qu'une porte d'entrée pour étreindre, à mes yeux un sujet plus large qui demeure (euphémisme) très ambigu dans le film... ; d'aucuns ne l'aiment pas parce que quelque part, je crois, j'en sais rien, il renvoie à un paradoxe qu'ils ont cotoyé de près ou de loin voire intimement ...
Un coup de maître, des images inoubliables on ne le redira jamais assez, un cocon glacé qui incarne le spleen des protagonistes décharnés à l'intérieur, des instants volés, des bouts de dialogues qui résonnent des semaines après...Et j'entends bien le revoir une quatrième fois, pas simplement pour Bach, pour New-York-York ou ce jogging nocturne haletant de quatre minutes et quelques, ou le regard bleu (troublant, paumé, éteint et vraiment allumé à la fois ) de Fassbender et la moue désespérée et fragile de Mulligan. Je veux le revoir parce qu'à chaque visionnage, je repère un détail dans une scène qui éclaire la suivante , je miaule intérieurement de joie devant la mise en scène pire qu'inventive de McQueen, devant l'acuité du propos : être entouré et choyé et pourtant si foutrement vide et seul à l'intérieur, infoutu de jouir, et infoutu de vivre pleinement. Ca parait simpliste sur le papier mais lorsque c'est incarné et mis en musique comme ça l'est dans le film c'est du grand art.
D'aucuns ont quitté la salle en plein projection écoeurés, lassés, incrédules, et que sais-je , d'autres ont eu du mal à se lever longtemps après le générique de fin , un mélange de malaise, d'émotion et une irrepressible envie d'y retourner sans honte aucune...
En 2009 'Lust,Caution' d'Ang Lee renfermait les plus belles scènes de sexe qui soient, l'an passé c'était les lumières rouges qui entouraient les corps impatients et sublimes de Violante Placide et George Clooney dans 'The American', cette année, ce sont celles de Shame que je retiendrai, même si à l'inverse des deux films précités, il n'y est jamais question de jouissance et de plaisir de la chair mais quel orgasme pour le spectateur devant une telle maestria..Ce plaisir qu'on dit visuel...