Du pur burlesque, mais génialement décalé
Parce que ce délire survitaminé, permanent, absurde et incontrôlable est aussi un vrai récit romantique – ils se rencontrent sur fond de guerre mondiale et de bombardements, se distinguent à peine sous la pénombre mais s’aiment immédiatement d’amour fou, se perdent immédiatement, et pour dix ans, se cherchent, se retrouvent, ne se retrouvent pas, se retrouvent, sur un rythme toujours plus trépidant – mais la BO, remarquable, ne trompe pas (malgré la présence d’un tuba qu’on imaginerait volontiers dans Laurel et Hardy) – romantisme à l’évidence. Mais bien caché,
Parce que le thème permanent touche aussi, autant, au social et au social le plus âpre. Presque au misérabilisme : dans cet après-guerre qui pourrait être sordide, on donne son sang, par roulements, pour trouver quelques reliefs à manger, autrement on crève de faim dans une ville privée de tout après les désastres de la guerre ; mafias et cambrioleurs (très bondissants) sont aux aguets. Mais le ton n’est pas à Allemagne année zéro. On est, constamment, dans la bouffonnerie. Et la séquence qui pourrait, presque, être la plus tragique, celle où la mafia et la police viennent s’acharner sur les SDF, les anciens combattants, la cour des miracles réfugiée sous les ponts – tout cela tourne immédiatement à la bataille la plus délirante, la plus joyeusement confuse possible (du Laurel et Hardy pur jus, à nouveau, ne manquent que les tartes à la crème) et s’achève avec un couteau furieusement planté dans les fesses d’un policier …,
Parce que, sous le couvert de la pudeur chinoise, où l’on se récrie sitôt qu’un éclat de chair apparaît, où, toujours sur le mode comique on s’acharne à dissimuler (mais pas trop en fait) tout ce qui pourrait dépasser, un peu à la façon dont les metteurs en scène américains contournaient les interdits du code Hays jusqu’au milieu des années 60, un pyjama partagé in extremis, un trou mal masqué dans une robe à l’endroit le plus sensible – pour en arriver, sans en avoir l’air, à un quasi viol après recours à la drogue du violeur (mais avec erreur burlesque sur la cible), à des menaces de mort, couteau sur la gorge pour celles qui n’accepteraient pas, et même jusqu’à envisager, le plus sereinement, un ménage à trois des plus réjouissants – auquel on n’échappera in extremis que par les retrouvailles finales et le départ qui s’ensuit ( au détriment d’un directeur un peu dépassé, apparu comme un cheveu sur la soupe et dénommé … Mao),
Parce que les couleurs explosent en permanence sur l’écran, à la façon d’un pop art essentiellement joyeux,
Parce que, sans qu’on sache exactement par quel miracle, le montage est d’une extrême fluidité – alors que les péripéties, les rebondissements, les ruptures, les quiproquos se succèdent à un rythme effréné, sans que l’incohérence apparente, voire manifeste, ne perturbe en rien l’enchaînement des événements.,
Parce que les trois interprètes, très renommés au demeurant, sur-jouent tellement, avec force grimaces, cris et outrances multiples – qu’ils finissent par jouer beaucoup mieux que bien,
Parce que toute cette folie ne présente à aucun moment la moindre trace de lourdeur
Parce que ce délire survitaminé, permanent, absurde et incontrôlable (mais parfaitement contrôlé) est en réalité définitivement jubilatoire.