Avec "Share", Pippa Bianco propose un portrait dévastateur de la vie au lycée à l’ère des smartphones, ce sur fond de débat sur la culture du viol, le patriarcat et les ravages du numérique sur la vie privée des jeunes. À l’issue d’une soirée de débauche aux souvenirs confus, Mandy, 16 ans, est victime d’un blackout dont la seule trace est une vidéo virale qui la montre inconsciente au milieu d’un groupe de garçons qui s’amuse à la dévêtir ; un contenu visuel flou, incomplet, suffisamment troublant pour la faire plonger en chute libre. Qui a vu cette vidéo ? Que risquent d’en penser ceux qui l’ont reçue ? Et surtout, que s’est-il passé après la coupure de l’enregistrement jusqu’à son réveil le lendemain matin dans le jardin familial ? Hantée par ces questions, Mandy sombre et perd ses repères alors que les autres la dépossèdent progressivement de sa propre histoire, dont elle-même ignore la vérité.
Une toile modeste taillée pour le petit écran et son large public, mais substantielle et pleine de réflexions essentielles sur le consentement et le trauma, à portée forte pour tout spectateur, notamment pour les adolescent(e)s. La normalité insensée accordée à l’événement, le déni de gravité de son entourage amical, la prise en charge nécessaire mais déconsidérée de ses parents, les retombées catastrophiques sur son engagement associatif et sa réussite scolaire, sont traités avec justesse et interpellent le spectateur. Un contexte de soutien artificiel à la fois étouffant et détaché qui pose la question pour la victime : vaut-il mieux vivre “normalement” en tâchant d’ignorer l’effroyable, ou plutôt rester constamment sous la lumière du drame? La psyché déjà fragile de l’adolescente en construction dans le monde se dissipe alors lentement tandis qu’elle réalise à quel point la vie peut être injuste. Le système tout entier lui fait défaut, y compris ceux en qui elle a confiance. Il est si douloureux de la voir calculer et s’égarer dans cette vulnérabilité subie tout en soupesant la responsabilité perçue, une culpabilité qui n’a pas lieu d’être.
Un premier film dur à digérer, sérieux et important, cauchemar intime au retentissement tristement ordinaire de fait divers, qui offre une représentation humaniste de la victimisation, sans tomber dans le piège de son exploitation dramatique malgré sa fin en deçà. Les violons de “13 Reasons Why” sont bien loin.
Mention spéciale pour l’acting impressionnant de Rhianne Barreto.