On ne connaît pas encore bien Jean-Bernard Marlin, puisque « Shéhérazade » est son premier long-métrage. Mais d’emblée, son sens du décalage surprend et accroche : en ouverture, des images d’archives montrant les vagues d’immigrés déferlant sur Marseille, puis les couleurs criardes de films super 8 tournés dans une cité HLM de la grande ville portuaire, le tout sur fond d’une musique techno résolument contemporaine, donnant à entendre la vie qui pulse.


Puis la question du personnage phare. Le titre annonce un prénom féminin, arabe, d’origine perse, et signifiant « enfant de la haute ville ». Ce sont bien des « enfants de la haute ville » qui évoluent sous nos yeux dans les rues de Marseille, mais de grands « enfants » essentiellement masculins, parmi lesquels le héros - puisqu’on le suit depuis la première scène - est Zachary (extraordinaire Dylan Robert, une révélation !), tout juste sorti de la prison pour mineurs où il purgeait sa peine, puis échappé du foyer où il était censé vivre dans un premier temps.


Le titre sera finalement rejoint et Shéhérazade (Kenza Fortas, aussi plus que convaincante) fera son entrée, au bout de quelques scènes. Loin d’être secondaire, sa présence est première, puisqu’elle est le personnage qui provoquera l’évolution du héros, le guidera à travers sa nuit de délinquance, le conduira à affronter la réalité de ses sentiments, à s’affranchir de ses apriori et à prendre la mesure du chemin qui lui reste à parcourir. Rôle de fanal, ténu mais têtu, qui vaut bien d’être le personnage éponyme...


On ne cesse de s’émerveiller devant l’ardeur incroyable qui traverse tout le film, même dans les phases d’impasse ou de piétinement, comme si toute l’électricité de la cité phocéenne, tout son flux, avaient décidé de se rassembler en lui. Jean-Bernard Marlin, directeur de la photographie par formation, et Jonathan Ricquebourg, qui tient ici ce poste, créent des images d’une somptueuse beauté et d’une construction souvent sidérante, qui métamorphosent Marseille en une sorte de Palais des Merveilles éclairé par un soleil noir, qui darderait quelques rayons de feu sur un monde au bord de l’abîme.


Grâces soient aussi rendues à l’extraordinaire vitalité qui traverse les jeunes acteurs et à l’intelligence du casting sauvage effectué par le réalisateur, qui a sillonné Marseille et fait passer des essais pendant huit mois avant d’arrêter son choix. Les êtres de fiction qu’il brosse à l’écran sont donc irrigués par le sang de l’expérience, fait qui amenuise souvent la paroi supposée séparer l’imaginaire du réel. On ne peut s’empêcher de songer au film australien de Warwick Thornton, « Samson et Delilah »(2009), œuvre malheureusement trop confidentielle malgré plusieurs récompenses, et qui suivait pareillement, sur un mode unissant également documentaire et fiction, la dérive d’un couple d’adolescents aborigènes ; l’extraordinaire tignasse de feu de Dylan Robert, mêlant le brun et le blond, rappelle irrésistiblement celle du jeune acteur australien, Rowan McNamara, qui incarnait Samson.


On songe aussi à « Vivre vite » (1980), du grand Carlos Saura, qui avait aussi recruté dans la rue et à la sortie des prisons les jeunes acteurs qui jouaient pratiquement leur propre rôle, dans un tournage qui suivait également la chronologie du montage. Mais les jeunes héros espagnols avaient ensuite replongé dans la vie de dérive et de dangers à laquelle Saura n’avait pu les soustraire, alors que les belles personnalités révélées ici par Jean-Bernard Marlin semblent d’ores et déjà s’engager dans une autre voie. On ne les quitte qu’avec le désir de les revoir à l’écran et la hâte de suivre l’abondante filmographie qui sera celle du réalisateur.

AnneSchneider
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le 1 sept. 2018

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Anne Schneider

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