Je rattrapais ce film en vue des Césars, et ne pensais pas qu'il ferait l'objet de ma première critique ici. Mais, il m'a tant touché que cela m'a paru être une évidence.
J'ai décidé de commencer par les points faibles, afin de garder le meilleur pour la fin.
J'ai trouvé quelques défauts au film, peu face à ses nombreuses qualités. Premièrement au niveau des personnages. Je les ai trouvés pas assez développés, même si cela reste justifié et à nuancer, il est vrai que j'en attendais plus des deux personnages principaux, au moins. Le rôle de Shéhérazade, qui me semble tellement intéressant, avec son statut de prostitué et son suçage de pouce enfantin, avec toute cette cohérence d'une jeune fille qui souffre de sa condition, mais qui est toujours en force, et rappelle aux autres l'existence de sa dignité. Même Zach, qui de ce point de vue-là est écrit très subtilement, pas trop fermé d'esprit et en manque d'arguments pour éviter l'antipathie et nous faire s'interroger notre propre conception des choses. Enfin bon, j'aurais trouvé intéressant de donner une part plus personnelle aux personnages principaux, au risque de les faire s'éloigner des personnes-types que l'auteur a voulu représenter.
Pour aller dans ce sens, j'ai été déçue par la relation amoureuse entre les deux adolescents. Bien sûr, ce n'était pas catastrophique, et il y a même des scènes où j'ai été profondément touchée (je pense notamment à celle où Zach passe sa première nuit hébergé par sa copine) mais les critiques l'annonçait comme "Incandescent de romantisme" (coucou les Inrocks), et j'ai trouvé que, malgré un bon début, l'histoire était expédiée un peu trop rapidement à mon goût. Les scènes "romantiques" ne m'ont pas assez convaincue, et je ne croyais pas complètement à leur couple.
J'ai, pour finir, été assez déçue par la fin. Pas dans la mise en scène, mais dans le scénario. À partir du dernier quart du film, je l'ai trouvé moins original et soigné que ce qu'il avait été jusque-là.
Le parti pris du réalisme, qui a valu au film d'être comparé à un documentaire, est aussi, je pense, un des facteurs qui peut diviser. Certains préféreront des films plus "artificiels" dans le sens neutre du terme. Il faut malgré tout nuancer cette étiquette de film naturaliste, car il n'est pas exempt de scènes à l'esthétique travaillée, telle celle de la boîte de nuit qui m'a définitivement convaincue.
J'ai beau avoir assez développé les points faibles, ils restent complètement minimes. Je n'ai pas mis 8 pour rien ! Seulement, ma satisfaction face au film est plus générale, et ne sera pas aussi précise que les défauts. J'ai parler plus haut du naturalisme du film. J'ai une interrogation sur les dialogues : je soupçonne qu'il n'ont pas été écrits à l'avance car ils sonnent toujours juste et passent naturellement dans la discussion. Lorsque les adolescents parlent en argot, cela fonctionne très bien, sans jugement, mais sans exaltations non plus, juste des personnes et leurs modes de vie. On évite aussi une pitié trop envahissante, qui empêcherait de prendre du recul face à leurs choix, ou de tout simplement prendre la situation telle qu'elle est. Les personnages étonnent car ils sortent des clichés. Ils ne sont pas seulement un jeune en proie à la délinquance et une prostituée, ils sont bien sûr prisonniers d'un système, mais ont leur propre volonté, et leurs désirs contradictoires qui les rendent complexes. J'ai eu une préférence pour Kenza Fortas, et son interprétation de Shéhérazade, qui tient tout de même la promesse que donne un personnage éponyme : être fascinant. J'ai sauté de joie lorsqu'elle a remporté le césar du meilleur espoir féminin ! Elle fait preuve d'une telle justesse, et suscite l'envie de la suivre et de la découvrir même après le film.
Tout cela est servi par une réalisation qui travaille les lumières sublimement, une volonté simple, mais tellement efficace dans le contexte du film. Le scénario reste lui aussi puissant, nous emmenant très naturellement dans un quotidien, dans la vie et les problèmes des personnages, et nous faisant les prendre au sérieux, ce qui n'est pas une mince affaire face à tous les clichés sur les jeunes de banlieue. Enfin voilà, j'ai oublié beaucoup de choses, mais je sais aussi que je ne veux pas trop en dire, afin de vous laisser découvrir le film, qui est, je crois, mon préféré de l'année.

MemeM
8
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le 23 févr. 2019

Critique lue 140 fois

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