Sherlock Junior n’a pas toujours bénéficié de l’attention qu’il mérite du fait de sa courte durée : ses trois quart d’heure n’en faisant pas un « long » métrage prompt à orner les listes habituelles et les récompenses programmatiques des cinéphiles autoproclamés.
Pourtant, Sherlock Junior se révèle l’un de ses films les plus poétiques et oniriques. « L’homme qui ne rit jamais » (surnom de Keaton) explore tous les ressorts de son comique avec une verve qu’il ne surpassera qu’avec Le Mécano de la Générale et le Cameraman.
Surtout, en s’amusant du télescopage entre la réalité de son personnage (un jeune projectionniste amoureux et apprentis détective) et la fiction projetée sur l’écran du cinéma dans lequel il travaille, Keaton provoque plusieurs niveaux de lecture. La séquence où il s’endort pour entrer dans le film en question (Woody Allen s’en inspirera pour « La Rose Pourpre du Caire ») révèle une exceptionnelle habileté visuelle. De plus, ce procédé narratif lui permet d’explorer tous les recoins de sa créativité, entremêlant nombre de truquages savoureux tels ces vertigineux changements de décors lorsqu’il se retrouve pris au piège du film et bien évidemment cascades en tous genres.
Le génie gestuel de Keaton trouve ici son accomplissement dans l’utilisation du corps contre les éléments extérieurs. A ses risques et périls. La scène du train où se déverse des dizaines de litres d’eau sur sa tête aura même manqué de lui briser la nuque (les médecins diagnostiqueront la chose dix ans plus tard et après de longues périodes de douleurs).
Mathématicien du gag, Keaton gère une fois encore ses effets au millimètre sans que rien ne semble forcé, sur travaillé, ni exagéré. Le résultat est une suite de gags d’une rapidité inouïe, d’une efficacité totale. Ainsi, lorsque pour respecter le manuel du parfait détective, il suit le « bad guy » comme son ombre, ce dernier jette sa cigarette en l’air et Keaton la récupère à la volée pour fumer à son tour devenant ainsi la doublure parfaite de son suspect. Transfert accompli. Rires garantis.
Moins social que Chaplin, dont il s’écarte par bien des aspects, le comique de Keaton trouve dans Sherlock Junior son premier (très) grand accomplissement, le propulsant aux côtés du plus célèbre vagabond du cinéma.