Par rapport aux "classiques" de Buster Keaton généralement plus célébrés, ou en tous cas plus connus du grand public, "Sherlock Junior" est sans doute beaucoup plus singulier, plus "conceptuel", au point de désorienter initialement un spectateur espérant un nouveau grand exploit "physique". Car il débute de manière finalement assez conventionnelle par rapport au cinéma de son époque, répétant le récit de l'exclusion sociale d'un homme ordinaire - employé dans un cinéma rêvant d'un avenir de détective et désireux de se marier au-dessus de sa condition - rapidement victime des préjugés de classe autant que de la malhonnêteté de ses "concurrents".
Et puis, dans une scène annonçant la "Rose Pourpre du Caire" de Woody Allen et tant d'autres films ayant repris cette idée géniale, voilà notre pauvre héros devenu un célèbre limier - en fait surtout incroyablement chanceux et bien secondé ! - dans la "réalité parallèle" d'un film. Et là, "Sherlock Junior" décolle littéralement, alternant intuitions poétiques fulgurantes (les changements de décor autour du personnage "statique"), trouvailles inspirées en termes de langage cinématographique (les ellipses dans la narration), et - on ne l'évitera heureusement pas - au moins UNE grande scène de cascade (cette fois, Keaton conduisant une moto assis à l'envers sur le guidon, et échappant à toutes les menaces !). Jusqu'à cette scène finale de séduction merveilleuse, où le Cinéma offre à son spectateur tout ce qu'il doit savoir, et qui permet de conclure ce court film foisonnant d'idées, d'invention, d'audaces sur une réflexion douce-amère sur la vie.
On tient donc là une sorte de film parfait, immense moment de plaisir au premier degré, mais également réflexion complexe sur le Cinéma et la relation, autant spatiale que comportementale, que les films proposent à leurs spectateurs.
... Ce que le 7ème Art peut apporter de meilleur.
[Critique complétée en 2020 à partir d'éléments écrits en 1981 et en 2006]