Les premières images de Shinjuku Incident prennent le spectateur par surprise, avec son épave rouillée et ses immigrants chinois échoués sur une plage. Beaucoup, qui se dispersent dans la cohue quand un policier à vélo se dessine à l'horizon. Triste réalité de l'immigration qui, en quelques secondes, en aura plus dit et sera plus proche de la réalité que n'importe quel film français militant qui apitoie à peu de frais.
Le flasback consécutif montre les migrants en Chine, agités par le rêve d'une vie meilleure au Japon. Parmi eux, Tête de Fer n'aspire qu'à rejoindre son béguin de jeunesse, qui a tenté l'aventure quelques mois plus tôt et dont il n'a plus de nouvelles. Le voile des illusions se déchire rapidement, la réalité de la vie dans la rue fait mal. Précarité, pauvreté, exploitation, tous les moyens sont bons pour passer inaperçu et tirer quelqu'argent pour vivoter en attendant des jours meilleurs. Mais Tête de Fer rejoint bientôt ce qui va constituer sa nouvelle famille. Des personnes comme lui, des invisibles et des petites gens. Pour lui, l'entraide est le maître mot.
La première heure du film dépeint alors la vie de cette petite communauté chinoise, prenant le temps de rendre ses principaux personnages presque sympathiques. L'empathie fonctionne, jalonnée de petites joies et de coups du sort qui exaltent la solidarité. Jusqu'à une agression sauvage et sans retour, laissant meurtrie la famille sous le choc et propulsant Tête de Fer à ses commandes, en véritable chef qui passera dès lors des rapines et des petits larcins, pour s'en sortir, à l'alliance avec des yakuzas.
Cette agression est le véritable centre de gravité de l'oeuvre, qui se transforme instantanément en film de gangsters sans compromis, comme pour dire que les premières cinquante minutes, celles des jours heureux et des sourires malgré la situation précaire et l'adversité, fait bel et bien partie du passé.
Si Shinjuku Incident y aurait gagné à être un petit peu dégraissé de quelques longueurs, cette atmosphère ambivalente en fait tout le prix, soulignant les illusions et les leurres liés à l'immigration, le fantasme d'une vie rêvée et la réalité de la situation peu enviable d'exclu, d'étranger et de laissé pour compte. Cette ambivalence se retrouve d'ailleurs dans le personnage de Tête de Fer auquel Jackie Chan donne chair, malgré son jeu d'acteur qui atteint vite ses limites. Homme de prime abord sympathique, simple, animé de bonté et d'honneur, il se révèle peu à peu, de manière surprenante, assez ambigu, prenant la tête de sa "famille", la protégeant, la sortant du caniveau au prix de sa compromission et de la poursuite de ses intérêts personnels. Du statut de candide un peu naïf qui a quitté sa Chine agricole natale pour les beaux yeux de sa belle, il passe à celui de petit caïd qui, finalement, aura échoué dans tout ce qu'il a entrepris pour les siens.
La fin du film le verra pris dans un double tourbillon : celui tout d'abord d'une guerre des gangs entre yakuzas. Mais, plus important, c'est la tempête qui secoue sa propre famille déstructurée, celle qu'il n'aura pas su tenir, ni accompagner sur le chemin de la rédemption et de la légalité. Symbole de son échec, son ami qui, blessé dans sa chair, dérivera vers les plages de la rancoeur et de la violence.
Célébrant les petites joies et l'amitié des gens de peu comme il laisse libre cours à une violence sèche et sans concession, Shinjuku Incident témoigne des illusions qui animent le coeur des hommes. Celles qui volent en éclats quand elles se heurtent à la triste réalité. Celles qui font brûler la flamme des sentiments les plus forts.
Behind_the_Mask, Tokyo tribe.