Shooting Heroin
Shooting Heroin

Film (2020)

Shooting Heroin (Spencer T. Folmar, U.S.A, 2020, 1h30)

Depuis des années les États-Unis sont frappés par le fléau de l’héroïne, qui s’est avec le temps de plus en plus démocratisée dans la population, surtout dans la jeunesse des milieux défavorisés. Le nombre d’overdose a en conséquence explosé, décimant ici et là les consommateurs de ce produit hautement toxique.


Le sujet principal de ‘’Shooting Heroin’’, qui clame lors de son ouverture être inspiré de faits réels, est la prolifération de ce poison dans une petite ville de campagne générique, qui ressemble à toutes les petites villes des profondeurs de l’Amérique. Une véritable épidémie incontrôlable et incontrôlée, fait face à des populations s’estimant impuissantes.


Adam, un jeune père célibataire, voit sa sœur sombrer dans l’addiction. Plutôt que de l’aider à s’en tirer il réagit violement et la laisse un peu tomber. Malheureusement elle décède d’une overdose, lui renvoyant à la gueule son inaction. Complétement détruit par la perte de sa petite sœur, convaincu qu’il aurait dû la protéger, ayant donc faillit à sa tâche, il se met en tête d’éradique le problème, par la manière forte s’il le faut.


Voilà le point de départ de cette petite production indépendante qu’est ‘’ Shooting Heroin’’, dont le jeu de mot du titre fait autant référence à la jeunesse victime du fléau, qu’à ceux qui, armes en mains, cherchent à régler le problème. Par le biais d’une variation des plus discutable de la Loi du Talion : Œil pour œil, shoot pour shoot, pourrait-on dire.


L’œuvre de Spener T. Folmar est volontairement dérangeante sur de nombreux points. Alors qu’elle livre une analyse assez poussée d’une communauté rurale, de son quotidien et de sa manière à faire face au problème. Un axe radical, qui peut faire penser à l’idéologie conservatrice la plus extrême présente dans le pays de l’Oncle Sam, est emprunté. Le problème semble insoluble par la prévention et les leçons de morales, seul la poudre, que permet le second amendement, apparaît dès lors comme une véritable solution.


‘’Shooting Heroin’’ est le constat de la faillite institutionnelle de la société. Une thématique qui est de plus en plus présente dans le cinéma américain depuis quelques années. En effet, la police locale, représentée par Jerry un vieil officier compétant mais fatigué, semble révolue par un problème inextricable. Elle est donc d’une incapacité criante pour faire face à la crise en cours dans le patelin. Malgré la colère de ses habitants qui gronde de plus en plus.


Et puis il y a l’institution religieuse, représentée par le révérend John, dont la démarche pacifiste, guidée par la foi, apparaît totalement désuète face au véritable fléau qui s’abat sur la ville. Il est même incapable d’apporter des réponses concrètes, comme lorsqu’en plein office il est interpellé par un citoyen en colère, qui lui demande si prendre des mesures drastiques, pour faire triompher le bien, peuvent être justifiables aux yeux de Dieu.


Police, religion, politique, aucun de ces cadres censés protéger et servir les citoyens ne sont capables de proposer une répondre adéquate. C’est alors les citoyens qui prennent les choses en main. Avec l’opposition des défenseurs d’une solution brutale, en gros ‘’on prend les flingues et on dégomme la racaille’’. Le personnage principal, Adam est partisan de cette solution et galvanise même les habitués d’un bar, chasseur légèrement redneck qui n’attendent que ça, pour qu’ils le suivent dans sa croisade.


Cette population est intéressante à observer, car la ville semble se trouver dans le Sud des Etats-Unis (même si le tournage prit place en Pennsylvanie), en effet dans le bar il y a des drapeaux de Dixie partout. Ce drapeau associé à la Confédération, le ‘’Stars and Bars’’ avec la croix de St George ornée d’étoiles correspondants aux différents États Confédérés. Un drapeau devenu symbole de racisme et d’intolérance, bien qu‘en réalité il est avant tout porteur d’une identité régionale. Avant de servir d’emblème à des groupuscules comme le Ku Klux Klan.


C’est dans cette ambiance un peu sulfureuse que baigne la ville. Et Adam sombre peu à peu, aveuglé par sa colère, et son chagrin, dans les méandres de la vengeance aveugle. La force de ‘’Shooting Heroin’’ est de ne jamais prendre parti. En effet, Spencer T. Folmar présente des personnes brisées face à un problème qui les ronge, et envers lequel ils semblent impuissants. Il est bien sûr empathique pour eux, ce qui place le public dans une position inconfortable.


Est-ce possible de cautionner les actions borderlines des protagonistes ? Quand le Révérend John organise une marche en hommage à une victime, où chacun porte un cierge, et chante en cœur des chants liturgiques, Adam organise-lui une battue. Avec des gros bras, des flingues, de l’alcool et des molotov. Deux poids, deux mesures. Le récit vient ainsi pousser à l’extrême les limites de son observation, encore une fois sans jugement et sans prise de position.


Il est laissé à chacun de se faire sa propre idée, sa propre opinion, pour mûrir une réflexion à mesure que les protagonistes méditent à une solution qui serait vraiment efficace. Les problématiques de ‘’Shooting Heroin’’ dépassent ainsi le simple fait de la guerre ‘’civile’’ livrée par la population, contre les fabriquant, les dealers et les consommateurs, mais viennent interroger sur la légitimité même de la violence comme moteur d’une société.


Le microcosme du patelin où se déroule l’action devient ainsi un laboratoire d’étude, qu’il est possible d’extrapoler à une plus grande échelle. Afin d’observer ce que les politiques, les autorités dépositaires de la loi, et les institutions religieuses, font pour faire face à un fléau comme l’héroïne, devenu un véritable sac de nœud au niveau national. Alors que les politiques anti-opiacés mises en place n’ont été que des échecs successifs depuis des années.


Libre à chacun de se faire son opinion, Spencer T. Formar ayant l’intelligence de prendre distance, en gardant une place d’observateur, et non d’essayer de livrer une œuvre moralisatrice nous prenant comme juges. Bien au contraire, si les spectateurices sont bien pris à parti, ce n’est pas face à un message rigide et désuet, mais face à une prise de conscience. Et à une capacité de porter un jugement moral, sur une situation où la moralité se fait la malle.


Un grand petit film, avec ses qualités et ses défauts, mais qui en son cœur est particulièrement solide, maintenant son cap coûte que coûte, et ce jusqu’au générique de fin. Sombre chronique d’une Amérique profonde, première victime d’une misère orchestrée par l’absence de cap politique national. Les oubliés d’une certaine misère institutionnelle, où la seule valeur qui vaut encore quelque chose est la famille. Pas forcément la famille filiale et nucléaire, qui est ici représentée comme éclatée et dysfonctionnelle, mais celle qui naît d’une communauté, livrée seule à la merci de l’adversité.


-Stork._

Peeping_Stork
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le 9 avr. 2020

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Peeping Stork

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