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5.4
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Film de Paul W. S. Anderson (1994)

« I was a fucking hero. » BILLY

Paul W. S. Anderson, passionné de cinéma et de littérature, devient le plus jeune diplômé de l’université de Warwick à Coventry, au cœur de l’Angleterre. Dès ses études, il nourrit une ambition claire : s’imposer dans l’industrie cinématographique britannique, alors jugée conservatrice et peu ouverte aux nouvelles influences. Dans un paysage dominé par un cinéma d’auteur exigeant ou des productions historiques, Anderson aspire à injecter une énergie plus dynamique et accessible, influencée par le cinéma américain et les tendances pop-culturelles de l’époque.

En 1992, Paul W. S. Anderson s’associe avec Jeremy Bolt, un producteur partageant sa vision, et ensemble, ils fondent Impact Pictures. L’objectif est ambitieux : produire leur premier long-métrage à partir d’un scénario qu’Anderson développe depuis trois ans. Pour financer leur film, Anderson et Bolt cherchent des partenaires et finissent par convaincre la branche cinématographique de Channel Four, une chaîne britannique connue pour son soutien aux productions indépendantes et audacieuses. À cela s’ajoute l’investissement de Kuzui Enterprises, une société japonaise ayant déjà contribué au cinéma indépendant anglo-saxon. Grâce à ces collaborations, le duo parvient à réunir un budget de 2.000.000$, une somme modeste mais suffisante pour mener à bien leur projet.

En 1994, Shopping sort en salles, incarnant parfaitement l’esprit rebelle de son réalisateur. Inspiré par une réalité sociale palpable dans l’Angleterre de l’époque, marquée par le chômage et la montée de la culture underground, le film adopte un ton nerveux et une mise en scène percutante. Cependant, cette approche radicale ne plaît pas aux autorités britanniques. Jugeant le film trop violent et estimant qu’il fait l’apologie du crime, la censure décide de l’interdire en salles au Royaume-Uni.

Le film s’intéresse au quotidien de Billy et Jo, deux jeunes adultes issus de quartiers défavorisés, qui trouvent un exutoire à leur mal-être en volant des voitures de sport pour commettre des braquages spectaculaires où l’on fracasse les vitrines de magasins avec un véhicule bélier. Ce mode de vie criminel, entre adrénaline et provocation, semble être leur seule échappatoire à une existence morose, jusqu’à ce que la police resserre l’étau autour d’eux.

Derrière cette trame simple, Paul W.S. Anderson dresse un portrait sombre et désenchanté d’une jeunesse livrée à elle-même, gangrenée par la précarité et la violence d’un environnement en ruines. Son regard ne se limite pas à l’action et met en valeur une toile de fond oppressante : immeubles délabrés, voitures calcinées, trafics en tout genre, sans-abri errant dans des ruelles humides… Chaque plan contribue à inscrire le récit dans un réalisme cru, où le désespoir semble imprégner chaque recoin du cadre.

Le duo formé par Billy et Jo est au cœur du film et bénéficie d’un soin particulier dans l’écriture. Plus qu’un simple tandem criminel, ils apparaissent comme deux âmes perdues, enfermées dans un monde dont ils ne savent comment s’extraire, si ce n’est par l’illégalité. Leur relation, à la fois fusionnelle et désespérée, oscille entre rébellion et résignation. Leur besoin d’évasion ne se limite pas aux vols et aux braquages ; il prend également la forme de courses-poursuites effrénées avec la police, véritable jeu du chat et de la souris où chaque virage peut être fatal. Ces instants de vitesse, où ils bravent la mort sans jamais ralentir, traduisent un désir plus profond : celui de se sentir vivants, ne serait-ce qu’un instant, dans une société qui les ignore.

Jude Law et Sadie Frost, dans les rôles de Billy et Jo, livrent une prestation correcte mais encore marquée par leur jeunesse et leur inexpérience. Leur duo fonctionne néanmoins à l’écran, notamment grâce à une alchimie évidente… Qui ne restera pas que fictive. En effet, les deux acteurs tombent amoureux durant le tournage et entament une relation qui les mènera jusqu’au mariage quelques années plus tard.

Bien que le film s’ancre fermement dans le réalisme social britannique, son esthétique flirte avec l’imaginaire dystopique et cyberpunk noir. Paul W. S. Anderson insuffle au film une ambiance nocturne et métallique, où la ville devient un terrain de jeu hostile, écrasé par des lumières artificielles et des néons froids. Cette approche visuelle confère au film un cachet unique, à mi-chemin entre le film noir et la science-fiction urbaine.

Si cette imagerie rappelle certaines œuvres du genre à venir dans les années 90, le film reste en deçà de ces œuvres ultérieurs et ne parvient pas totalement à exploiter cette atmosphère pour en faire un univers à part entière. L’influence est là, mais elle reste en surface, laissant un goût d’inachevé. Néanmoins, cette direction artistique originale, appliquée à un sujet a priori réaliste, contribue à rendre le film singulier et mémorable.

Malgré son interdiction en salles au Royaume-Uni, le film ne se montre pas aussi transgressif qu’on aurait pu l’espérer. Le sujet laissait entrevoir un potentiel explosif, un film nerveux, viscéral, voire provocateur. Or, Paul W. S. Anderson opte pour une mise en scène plus contenue, qui peine à atteindre l’intensité que l’on pouvait attendre. L’action, bien que présente, manque de rythme et d’impact, tandis que le scénario, linéaire, ne pousse pas assez loin la radicalité de son propos. En résulte un film qui, s’il possède une atmosphère intéressante, reste trop sage pour pleinement marquer les esprits et on risque l’ennui.

Shopping est une œuvre intrigante, à mi-chemin entre la chronique sociale et le thriller urbain, avec une patte visuelle qui le distingue des productions britanniques de l’époque. Malgré des ambitions louables, le film peine à aller au bout de ses idées, à la fois sur le plan narratif et esthétique. Si Paul W. S. Anderson pose ici les bases de son style, il faudra attendre ses films suivants pour voir son talent pour l’action et l’univers visuel s’épanouir pleinement.

StevenBen
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il y a 4 jours

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Steven Benard

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