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Après avoir poursuivi son regard sur l’amitié masculine dans un pays en voie de civilisation dans First Cow, Kelly Reichardt renoue avec Michelle Williams pour la quatrième fois, pour s’intéresser...
le 4 mai 2023
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Dans un monde science-fiction où l'humanité a appris à dresser les chats à ne pas faire tomber par pure malice tout ce qui est posé sur une table, on suit une sculptrice interprétée par Michelle Williams (quatrième collaboration avec Kelly Reichardt) qui doit préparer une exposition dans une galerie. Le pitch est simple et ce qui est fabuleux avec Reichardt, c'est qu'elle ne nous emmène pas là où on croit que le scénar veut nous emmener. On esquive tous les passages obligés les plus évidents et tant mieux. Parce que c'est trop facile de faire de son artiste un génie qui va réussir dans les dernières minutes à finaliser la meilleure exposition de tous les temps, pendant qu'il réconcilie sa famille en même temps, le tout sous l’œil d'un grand marchand d'art qui ne rêve qu'exposer cet artiste dans une galerie prestigieuse à New York...
Showing Up ce n'est pas ça. C'est peut-être même l'inverse de ça et parce que c'est l'inverse de ça, ça dit des choses sur l'artiste qu'on ne voit jamais, ou éventuellement chez Hong Sang-soo (et c'est le plus beau compliment que je puisse faire). Les artistes sont des gens "normaux". Enfin Michelle Williams a pas l'air d'être la personne la plus joyeuse du monde dans le film, mais justement, on est loin des représentations exubérantes d'artistes qui hantent le cinéma. C'est une femme normale, qui a un métier dans une école d'art, mais qui n'a pas l'air d'être un métier de prof, elle bosse dans l'administration et à côté elle fait son art. Où as-t-on déjà vu ça ?
Et surtout je trouve que le synopsis du film qu'on trouve un peu partout sur internet est loin de rendre compte de l'originalité de ce film qui tranche radicalement avec ce qu'on a l'habitude de voir. Un artiste aujourd'hui n'est pas spécialement riche, il travaille à côté la plupart du temps, il est pas super sympa, il a des problèmes matériels concrets (j'aime bien l'opposition entre les deux personnages "principaux" du film, Williams et son amie Hong Chau, qui joue aussi une artiste, mais qui est plus dans ce qu'on pourrait attendre de la représentation d'une artiste au cinéma).
D'ailleurs la création artistique à proprement parler prend peu de temps dans le film, on la voit peu sculpter et on la voit plus essayer de trouver le temps de sculpter. Rien que ça c'est une excellente idée de cinéma. Il faut avoir matériellement le temps de créer et lorsqu'on prend le temps, on est sans cesse dérangé (la famille, les voisins., le chat...)
Et puis il y a cet élément perturbateur : le pigeon. C'est à la fois tellement absurde et tellement réaliste, le chat qui ramène un pigeon dans l'appartement pour le bouffer, la fille qui décide de le mettre dehors pour qu'il crève plus loin, loin de ses yeux... ça fonctionne vraiment bien et tout propriétaire d'un chat a eu la même réaction... Et forcément tout ce qui s'en suit est super drôle et cocasse.
Parce que le film a beau être comme tous les films de Reichardt extrêmement calme, ça ne crie pas, les conflits ne donnent pas lieu à des éclats de voix (le moment où Williams s'énerve est vraiment drôle parce que c'est tellement juste et en même temps juste ridicule), il y a malgré tout une touche d'humour, d'ironie, qu'on ne retrouvait peut-être pas dans ses autres films. Peut-être que le sujet plus léger s'y prête plus. Ici il n'est pas question de vrai/faux meurtre, de se perdre dans le désert ou de terrorisme... On parle juste de création artistique.
Et forcément il me faut aborder le coup de théâtre (si on peut appeler ça comme ça), la réalisation de la pièce maîtresse de l'exposition, puisque ça dit tout de la création artistique : on ne maîtrise pas tout... Même en sculpture où c'est quand même quelque chose d'assez solitaire, on doit faire appel à d'autres gens et on ne maîtrise pas tout le processus et ça fait que parfois, ben le résultat n'est pas forcément celui qu'on attendait et il faut l'accepter parce que ça ne dépend pas de nous... On se doute bien qu'au cinéma, vu que c'est un travail d'équipe, on maîtrise encore moins le résultat.
Il faut également souligner l'excellente idée de Reichardt d'aller tourner dans une vraie école d'art (encore une fois en Oregon !), ce qui permet de filmer ce lieu atypique, ses élèves au travail (quasi sûr que c'est les vrais élèves de l'école) et ça donne de la vie au film, certes le perso de Williams est un peu mutique et renfermé, mais autour d'elle il se passe des choses. Le cadre vit autour d'elle.
Bon et il faut mentionner le travail d'écriture, parce que contrairement à n'importe quel autre film, on découvre, on comprend des choses sur les personnages au fur et à mesure de leurs interactions. On peut voir des personnages se parler plusieurs fois avant de réellement comprendre qui ils sont les uns pour les autres. C'est ce genre de détail qui permettent de donner de la crédibilité à ce qu'on voit. Dans la vraie vie les gens qui se voient tous les jours ne croisent pas en se disant : « Hey, Salut John mon meilleur ami depuis la cinquième ! » Reichardt s'épargne ce genre d'écueil pour notre plus grand bien.
Bref, Showing Up est un grand film, Reichardt est sans doute non seulement la plus grande réalisatrice américaine, mais sans doute le plus grand réalisateur américain actuel tout court...
En plus elle vient d'inventer une forme esthétique nouvelle : le pigeon gaze.
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Créée
le 6 avr. 2023
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7 commentaires
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