1954. Deux marshalls, une enquête, un hôpital psychiatrique sur une île. Voici le décor planté par Martin Scorsese pour son film "Shutter Island", adaptation du roman éponyme de l'écrivain américain Dennis Lehane.
Dans ce puzzle, le cinéaste nous égare, nous éclaire puis nous perd à nouveau. La narration devenant peu à peu interactive, nous nous enfonçons plus avant dans la perplexité. Scorsese tire avantage de cet effet de doute, jusqu'à la fin du film : une folie contagieuse. Pourtant, ce jeu n'a rien de gratuit ni de démonstratif. Pour preuve, aucun personnage de patient de Shutter Island n'est développé, l'asile psychiatrique en lui-même à peine détaillé. "Vol au-dessus d'un nid de coucous " (1975) de Milos Forman est déjà passé par là.
Non, Scorsese a choisi de focaliser notre attention sur son anti-héros, un Leonardo di Caprio magistralement tourmenté. Et si l'acteur est de tous les plans, faisant oublier le décor, on comprend alors rapidement que le sujet du film est ailleurs : au milieu de ce no man's land balayé par une tempête, il ne reste que de l'eau... qui déborde. Une eau qui envahit tout ce qui reste de raison, jusqu'à faire disparaître les corps. Ensevelis sous la neige, noyés, qui sont les coupables ? Le film désigne les victimes mais se garde bien de juger leurs bourreaux. Car qu'y a t'il de plus terrible qu'une prison intérieure ?
Sans tomber dans les travers académiques d'une étude de psychopathologie, "Shutter Island " soulève beaucoup de questions à la fois : qu'est-ce que la folie ? Si l'imaginaire peut parfois remplacer le réel, la réalité est-elle pour autant interchangeable ? Enfin, où se situe la frontière entre la moralité et la violence ?
Ben Kingsley (le Dr Cawley) incarne, quant à lui, à merveille une psychiatrie d'après-guerre balbutiante. Sur cette île-prison, très hitchcockienne, on ne saura d'ailleurs pas vraiment si les psychiatres expérimentaient leurs neuroleptiques sur des patients-cobayes et pratiquaient la lobotomie. Seule l'Histoire de la psychiatrie nous l'apprendra, des années plus tard.
"Shutter Island" n'est pas un thriller psychologique comme les autres. Il nous oblige à reconsidérer notre rapport à la folie, mais nous aide aussi à mieux comprendre les traumatismes de guerre. Cette immersion totale dans l'esprit d'un homme délirant ne peut laisser personne indifférent.