Abel Ferrara a toujours eu une certaine inclination pour l'excès, pour le mauvais goût et pour les grosses conneries imbitables : "Nine lives of a wet pussy" et "Bad Lieutenant" peuvent en témoigner, pour couvrir un spectre qualitatif très large. Ces dernières années il s'est paumé dans des projets bizarres, illustrations probables de lubies personnelles qui n'intéressent pas grand monde à part lui, la vie d'un projectionniste de Manhattan (The Projectionist), la vie d'un prêtre catholique (Searching for Padre Pio), et bien d'autres choses qui garnissent l'arrière-plan documentaire d'une toile qui n'avait pas encore été commencée dans sa filmographie. Willem Dafoe, toujours fidèle de Ferrara, sur le pont encore une fois, est de tous les plans de "Siberia" ou presque mais on ne peut pas dire qu'il parvienne à faire grand-chose dans ce sac de nœuds psychanalytiques et métaphysiques qu'on ne nous donne jamais vraiment envie de démêler.
En fait c'est ça, "Siberia" : une série ininterrompue de figures mentales représentées in extenso, dont le sens cryptique ne sera jamais précisé mais dont on devine les contours — sans aucune forme d'intérêt, à titre personnel. Histoire de resserrer encore un peu plus la veine autobiographique, il implique dans son projet sa femme Cristina Chiriac et sa fille Anna pour matérialiser deux des quelques personnages qui bordent ce voyage désagréable dans une forme un peu hystérique et un peu horrifique de subconscient. C'est une des choses sûres en tous cas : Ferrara est parvenu à créer des vignettes (alignées de manière vraiment gratuite et non-constructive, sans liant entre elles) marquantes, avec des ambiances très particulières qui pourraient être utiles et efficaces si elles s'inscrivaient dans un objectif un peu plus structuré pour leur donner du sens global. On passe d'une bizarrerie à l'autre, Ferrara nous montre ses images mentales sans conviction, et le tunnel est bien long jusqu'à la sortie. Alors c'est sûr, les décors enneigés avec son filtre vert dégueulasse, ça marque, tout comme la femme enceinte dont Dafoe embrasse le nombril ou quelques microcosmes travaillés en lumière et en couleur (la grotte inondée rougeoyante). Mais bon, Ferrara a sans doute un peu trop abusé sur son dernier fix (il devait y avoir des pages de Freud et Jung dedans) et s'est trop reposé sur le symbolisme. Tout surgit brusquement, avec un montage abrupt et fatigant, sans cohésion d'ensemble. À la limite, un film intéressant pour son psychiatre.