Film que j'au vu au cinéma en deux parties, avec une entracte au milieu, cette saga de 3H20 et non 4H30 parvient à transcender le contexte de l'Union Soviétique pour exalter la lutte des hommes contre le destin sur trois générations. Les nombreux personnages de la saga nécessitent cependant, comme dans les romans de Tolstoï, une attention soutenue.
Les défricheurs de la Crinière du Diable
Au début du XXéme siècle, Elan, un village sibérien perdu, est le théâtre de la haine ancestrale entre les « riches » paysans pragmatiques, les Solomine et les Oustioujanine, des utopistes misérables. Afanassi Oustioujanine s'entête à défricher la forêt pour prolonger la route tracée par ses ancêtres. Cette route devrait atteindre un jour la Crinière du Diable, un lieu maudit situé au bout de nulle part, sur le chemin qui mène à l'Etoile. Les magnifiques images de neige, le fleuve immobile, la lourde porte du village font penser à Tarkovski et évoquent avec nostalgie la Russie éternelle.
Les conquérants de la Cité du Soleil
Le jeune Kolka Oustioujanine, le fils d'Afanassi, a côtoyé enfant un bagnard évadé qui lui a évoqué la Cité du Soleil, une ville idéale où tout était mis en commun. Plus tard, après être tombé amoureux de Nastia Solomine, Kolka est battu et humilié par le clan Solomine. Survient alors la Révolution. Le récit est ici entrecoupé de séquences d'images d'archives sépia montées sur un rythme rapide par Artavazd Pelechian, accompagnées d'une musique proche du rock progressif, composée par Edouard Artemiev. Devenu communiste, Kolka revient au village apporter la bonne parole, réussit à atteindre la Crinière du Diable mais ne réussit pas à convaincre les habitants. Il se fait assassiner par l'un des frères Solomine. Aliocha son fils s'enfuit alors du village et promet de se venger. A son retour Aliocha devenu un jeune homme (Nikita Mikhalkov, le metteur en scène) séduit la belle Taïa, dans des images d'une belle sensualité. Il s'engage alors avec enthousiasme pour la guerre où il sauvera son commandant grièvement blessé. Fin de la première partie. Entracte.
Les chercheurs du Trésor Noir
Dans la deuxième partie, Aliocha revient à Elan après vingt ans d'absence. Taïa (la célèbre actrice Lioudmila Gourchenko) lui tombe dans les bras mais Aliocha ne lui accorde que peu d'importance. Ses rêves sont plutôt la Cité du Soleil, la Crinière du Diable et le pétrole qu'il pense pouvoir y trouver. Nous sommes dans les années 60 après le XXe congrès du Parti communiste. C'est à ce moment qu'apparaît Philippe Solomine, qui n'est autre que le commandant sauvé par Aliocha. C'est un haut dirigeant du parti envoyé par Moscou. Les forages de pétrole qu'il a ordonnés n'ont rien donné. Il a alors reçu l'ordre de noyer le village d'Elan et toute la région pour construire la plus grande centrale hydroélectrique du monde. Devant l'hostilité des habitants, Philippe rentre à Moscou plaider pour épargner son village, une cause perdue d'avance. Le pétrole finit pourtant par
jaillir miraculeusement, concrétisant les rêves des générations précédentes. Philippe Solomine a gagné la partie et le fantôme d'Aliocha Oustioujanine vient le féliciter, scellant la réconciliation des deux familles ennemies...Epilogue heureux en apparence, tandis que que Konchalovski filme froidement le village détruit, le cimetière profané par le pétrole et les villageois en pleurs qui ont tout perdu.
Sibéria 2
Le film étant à l'origine destiné à glorifier les travailleurs des puits de pétrole, la dernière partie bénéficia d’un très gros budget. On sait que l’explosion du derrick coûta à elle seule deux millions de dollars. L’incendie du puits qui dure huit minutes à l’écran brûla 10000 tonnes de pétrole, soit la quantité de pétrole but transportée par un pétrolier Aframax, une simple flammèche de briquet à l'échelle russe.
Mais je me suis un peu éloigné de Sibériade qui a une particularité qui n'a échappé à personne.
Si l'on devait analyser les deux parties du film séparément, on jurerait que le film a été réalisé par deux auteurs distincts. La saga a au départ les allures d'un conte russe où les arbres de l'immense forêt pleurent à voix haute leurs frères abattus, où le grand-père est éternel et où Konchalovski le lyrique rend hommage à la nature. La fin avec ses plans sur le puits de pétrole, les équipes du forage et la réunion des dirigeants du parti est proche du réalisme soviétique. Elle annonce paradoxalement le Konchalovski attiré par l'action, le bruit et la vitesse qui partira un an plus tard tenter sa chance aux States. Dix ans après, succombant à la nostalgie, il retournera définitivement en Russie…