Siddharth est un enfant indien de douze ans. De lui, on ne verra que sa main, disant au revoir à son père depuis le bus qui l'emmène vers un nouveau travail lui permettant de venir en aide à sa famille, des plus modestes. Il ne reviendra jamais.
"Enfui", prétend d'abord son employeur... Bien plus vraisemblablement "enlevé", apprend à son père l'un de ses camarades de chambrée, tout en lui remettant les affaires du disparu. Les possibilités, glaçantes, sont multiples, exposées sans fard par les enfants eux-mêmes : livré à la prostitution, dans le pays ou ailleurs, mutilé et jeté dans la rue pour y mendier, utilisé pour du trafic d'organes... "Siddharth" va raconter la quête obstinée de ce père, Mahendra (incarné par Rajesh Tailang, magnifique et bouleversant), lancé à la recherche de son enfant dans différentes villes de l'Inde, malgré sa modestie et l'étroitesse de ses moyens financiers.
C'est l'occasion, pour le réalisateur Richie Mehta, Canadien d'origine indienne, de brosser un portrait de l'Inde contemporaine, Inde poudreuse, écartelée entre certains traits de modernité (les téléphones portables, les moyens de transport, pour certains...) et la persistance de caractéristiques hors d'âge : la pauvreté, la poussière, la luxuriance de la végétation, l'abondance de la population, la douceur placide et souriante de celle-ci, le plus souvent... Sagesse d'un pays où la manifestation de la virilité ne passe pas par les rodomontades qui s'illustrent si volontiers sous d'autres longitudes... Avec beaucoup de sensibilité, presque de tendresse, la caméra de Richie Mehta se pose sur de nombreuses scènes de rue, qui confèrent à cette fiction inspirée de faits réels un caractère par moments documentaire.
L'absent, Siddharth, est présent, en creux, dans tous les plans, jusqu'à ce soir d'épuisement et de délire où son père croit soudain le reconnaître en chaque enfant qui passe. Contredisant le constat lamartinien, il n'est d'ailleurs pas un hasard que le réalisateur ait confié deux autres rôles, très passagers, à l'acteur, Irfan Khan, incarnant l'enfant. Claire affirmation du caractère omniprésent de l'absent.
La quête paternelle rencontrera un point charnière lorsque, à bout de forces, Mahendra téléphonera à son vieux père, redevenant ainsi fils et pouvant s'autoriser à avouer à son tour une désorientation radicale, à force d'ignorer où se trouve son propre fils. Scène poignante, mais qui lui permet aussi, grâce à la douce incitation qu'il reçoit, de redevenir un mari, pour sa femme, et un père, pour la petite fille qui lui reste.
Avec à la fois une sûreté et une sensibilité narratives incroyables, Richie Metha signe ici une superbe réécriture, au masculin, de la quête antique de Déméter, parcourant la Terre à la recherche de sa fille Perséphone.