Signes de vie est un film en noir et blanc situé principalement sur l'île de Cos. On y suit la vie d'un groupe de trois soldats allemands, tous trois anciens blessés, qui ont pour mission de garder un fort contenant des munitions, sur une île où il se passe rien. L'un d'eux, Stroszeck, rendu fou par l'inaction, finit par chasser ses camarades et s'enfermer dans le dépôt.
Bon, commençons par la photographie : dès le premier plan, qui montre un camion descendre les lacets d'une route de montagne, on sait que ce sera somptueux. Herzock a visiblement passé beaucoup de temps sur Cos en repérage, et utilise toute une série de plans courts, où apparemment il ne se passe rien, et qu'il intègre avec bonheur dans son histoire. Il en ressort un sentiment de paix et de liberté, à l'opposé de la folie de Stroszeck, obsédé par l'enfermement et la guerre qui se passe ailleurs. Plans de linges volant au vent dans des ruelles, filmé à l'épaule ; chats ; âne mort ; enfants assis contre un mur ; pieds de statue antique intégrés dans un mur moderne ; visages de pierre en applique disparaissant à moitié à travers des brins d'herbe éclairés par le clair de lune ; poissons dévorant un sandwich tombé à l'eau et le faisant tourner sur lui-même. L'oeil de poète de Herzog ne laisse rien passer, n'est jamais pris en défaut.
La musique contribue bien sûr à cette ambiance. Le même thème, nostalgique, à la guitare, au violon et au piano est repris plusieurs fois. L'interprétation est également sans faille. Le quatuor formé par Stroszeck, sa femme grecque, saine et discrète, son collègue râleur Meinhard et le rêveur Becker, est particulièrement savoureux.
La narration, comme souvent chez Herzog, se partage entre des plans d'ambiance et des trouvailles un peu improvisées (mais dans une mesure bien plus supportable que "Les nains...") : expériences sur les couteaux, confection de feux d'artifice, disputes triviales... Dans l'histoire, signée en partie par Herzog, la folie de Stroszeck arrive tardivement et assez brusquement (le surgissement de la folie et la résolution tiennent à peu près en 4 jours, si j'ai bien suivi).
La grande force d'Herzog, c'est de ne pas avoir besoin de mots. En un plan suivant le visage profondément troublé de son héros en train de marcher, il fait passer la lassitude, à la fois véhiculée par l'effort et par un profond vide existentiel. Peu de cinéastes arrivent à un tel résultat. On peut parler de photogénie : le message passe par la beauté de l'image. Bref, on a du cinéma à l'état pur. Et cette apparente facilité avec laquelle le réalisateur capture ainsi ces instants donne au film une grande fraîcheur (malgré ces paysages inondés de soleil ^^) et une grande vitalité.
Quant aux thèmes, ils seront repris par la suite chez Herzog. J'apprécie particulièrement qu'on ait affaire à des nazis, mais qu'ils soient traités comme des êtres humains en temps de guerre. A l'époque où tous les autres cinéastes et écrivains allemands n'en finissaient pas de flageller leur patrie, Herzog accède à un message universel à peu de frais. Stroszeck est une victime de la guerre (sa folie provient en partie d'une blessure non guérie), il ne supporte pas le sentiment de paix qui domine alors que les habitants sont privés de nourriture. Il cherche des réponses dans la violence et la démesure : tente de détruire le soleil avec des feux d'artifice. En ce sens il est une sorte d'Icare ou de Prométhée, mais comme eux condamné à l'échec. Le dernier plan, que je ne dévoile pas, est une belle manière de clore le film.
Seul léger défaut : la fin semble avoir été difficile à tourner pour Herzog. On y trouve moins de plans joués et plus de stock-shots. La voix off palie comme elle peut le fait que l'auteur semble avoir hésiter sur la manière de finir son film.