Drôle de film que ce Silence, surtout quand il s'inscrit juste après un Loup de Wall Street où il était permis de trouver Martin Scorsese un peu moins bon, un peu moins maîtrisé dans son rythme qu'à son habitude. Car autant Marty habillait le vide de son Jordan Belfort par toute son hystérie, par tous les excès possibles, celui-ci est empreint d'une certaine austérité, d'une sérénité bizarre, d'une quiétude nonchalante qui met en scène les supplices les plus cruels au seul son des vagues de l'océan qui s'écrasent sur les rochers, des chants entonnés pour faire face à l'inéluctable.
Même si l'aspect profondément religieux du film rebutera à coup sûr les plus obtus, Martin Scorsese filme la foi comme il filmait naguère le mal. En la triturant, en questionnant et en remettant en cause les croyances de ses personnages. En plongeant l'un d'entre eux en pleine descente aux enfers, confronté à un samouraï inquisiteur aussi délicieux que sans pitié, véritable Lucifer figé dans un sourire éternel sous lequel la cruauté pointe. Scorsese pose aussi, au détour de trois faces-à-faces clés et lourds de sens, comme autant d'étapes sur le chemin de la passion, les problématiques de transmission de la foi, comment exprimer celle-ci, la développer, la protéger, l'incarner et la rendre intelligible. Tout en composant avec le silence assourdissant d'un Dieu qui ne répond pas aux appels lui demandant pitié.
Il met en scène une véritable crise de foi en la mettant à l'épreuve. En éreintant aussi émotionnellement son interprète principal qui, après sa performance dans Tu Ne Tueras Point, change de registre en livrant, à nouveau, une grande prestation, irriguée du questionnement sur la force des convictions, ou au contraire de les abandonner pour sauver son troupeau, au prix de se perdre soi-même. Au point de mettre en position le spectateur d'entrer en empathie avec lui, de ressentir une certaine compassion, même si le personnage se montrera à l'occasion par trop fier et orgueilleux en comparant ce qu'il endure à la souffrance du Christ. En pleine lutte intérieure, à la fois désarmé et habité d'une force invisible, impuissant et sombrant peu à peu dans le doute, Andrew Garfield est au meilleur de sa forme entre les mains d'un metteur en scène que l'on sent serein mais désabusé, peut être en train de livrer un film testament, qu'il a d'ailleurs eu beaucoup de mal à monter.
Les convictions éprouvées sont à l'évidence religieuses, les effigies piétinées sont bien sûr celles du Christ ou de la Vierge Marie. Des personnages de second plan renvoient à certains épisodes des livres. Mais Martin Scorsese semble parfois emprunter les traits de son acteur principal afin de livrer, dans son Silence, un propos sur sa relation avec le cinéma, dont il doute de l'avenir et du sens. Il plonge d'ailleurs à plusieurs reprises son film dans le brouillard, tout en explorant une contrée et une culture étrangère repliées sur elles-mêmes où, métaphoriquement, plus rien ne pousse.
A l'image de son personnage principal, à la fin de son Silence, Scorsese semble résigné, à l'issue d'un dernier face-à-face du padres à la recherche d'un colonel Kurtz revisité et tragique, marquant pour toujours la fin de l'innocence et des illusions. Avec cependant, au creux de la main, un crucifix ou, pour Martin, la caméra blottie contre son coeur. Pour une proposition de cinéma hors du temps, à la réalisation millimétrée, un Silence intensément fort.
Behind_the_Mask, qui croit en Dieu que pour boire le vin de messe.