Après la fresque orgiaque adulée Le Loup de Wall Street, Martin Scorsese revient avec une œuvre âpre mais passionnante qui est loin d’avoir fait l’unanimité. Pourtant, il semble réussir avec Silence sa grande œuvre mystique sur le renoncement, autant qu’un grand film d’aventure. Retour un peu tardif sur ce film qui prouve que Martin Scorsese est plus que jamais en bonne santé.
Au bout de deux heures de film, le père Sebastião Rodrigues (incarné par Andrew Garfield qui continue son chemin de croix après son passage dans le Tu ne tueras point de Mel Gibson) se doit de renoncer à sa foi après une longue résistance. Comme le reste de ses fidèles qu’il doit sauver, il doit piétiner une icône. Après cela, il s’effondre à terre dans un sublime ralenti venant renforcer la pesanteur de son corps, ce corps l’empêchant de s’élever, ce corps qui le fait céder. Cela faisait bien longtemps que Scorsese ne nous avait pas offert une image d’une telle puissance évocatrice. Scorsese revient là vers une de ses obsessions, les limites du corps contre les désirs d’élévation spirituels, et semble vouloir aborder cela frontalement ici, sans les détours dont il usait précédemment. Ce ralenti montre pourtant bien que le film ne tombe jamais dans le didactisme qu’on lui reproche ici ou là : Silence est un grand film de mise en scène, qui dans son âpreté et parfois sa rugosité parvient à nous envoûter et nous captiver.
Pourtant, son sujet avait de quoi nous faire peur. C’est vrai qu’on a pas vraiment l’habitude chez Fais pas genre de parler prêtres jésuites portugais persécutés au Japon alors qu’ils essayent de convertir les populations locales. Le film raconte plus précisément la quête de deux de ces prêtres, Sebastião Rodrigues donc, ainsi que Francisco Garupe (incarné par un toujours plus intense Adam Driver), chargés de retrouver leur mentor, le père Ferreira, joué lui par Liam Neeson, qui aurait apostasié, c’est-à-dire renié sa foi pour vivre selon les coutumes japonaises. Dans cette quête, ils s’infiltrent dans des populations locales, cherchant à les convertir mais aussi à se cacher de l’Inquisiteur, despotique gouverneur local qui persécutent les kirishtians. Au fil du temps, ils seront obligés de renier à leur tour leur foi, pour épargner la vie des autres chrétiens… Cet enjeu rend le film captivant pour deux raisons, d’abord un aspect thématique. Je dois dire que j’ai été particulièrement surpris de la froideur de l’accueil du film aussi bien du côté de la presse que du public. On accuse le film d’être ennuyeux ou alors on lui fait des attaques morales sur le mode film bigôt voir colonisateur. C’est très surprenant de voir un film aussi long, complexe, retors, catégorisé si rapidement. Comme si certaines questions n’intéressaient plus le public. Si le sujet paraît lointain par certains aspects (on y parle de foi et de croyance effectivement), finalement il se révèle universel et traite de dilemmes extrêmement puissants, d’autant plus que Scorsese ne traite pas ces sujets avec académisme, bien au contraire. Le film offre son lot de monstres (l’inquisiteur au premier plan, incarné par l’incroyable Issei Ogata), de pics d’intensités furieux (toutes les scènes de condamnations par exemple, ou de « procès ») ou de dialogues passionnants, qui font que pour un regard attentif, il est impossible de s’ennuyer vraiment.
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http://faispasgenre.com/2017/02/silence/